« It’s just a turn — and freedom! »

Emily Dickinson, illisibilité et surveillance

La « volte », également appelée « charnière », qualifie traditionnellement le renversement qui s’opère entre les quatrains et les tercets dans le sonnet. Si la volte est une forme motrice, un contre-mouvement qui permet des redirections rhétoriques ou sémantiques, il s’agira pour nous de l’utiliser comme une forme poétique spécifique de l’agir littéraire et politique. En nous appuyant sur l’œuvre d’Emily Dickinson, nous démontrerons en quoi le moment où le poème se tourne relève de l’organisation d’une zone d’opacité et d’illisibilité. Nous étudierons la volte dickinsonienne en tant qu’outil pour imaginer des modes de résistance face aux procédés de surveillance contemporaine et à ses mécanismes de capture qui ne laissent rien intact, ni le corps, ni la langue, ni le poème.

Rachel Boyer est doctorante à l’UMR THALIM de la Sorbonne-Nouvelle et travaille à l’écriture de sa thèse sur les écritures du désir lesbien chez Violette Leduc, Monique Wittig et Nicole Brossard. Elle a notamment publié un article intitulé « SKIN Utopie, écritures de l’émeute chez Monique Wittig et Nicole Brossard » dans l’ouvrage collectif Esthétiques du désordre. Vers une autre pensée de l’utopie, des éditions le Cavalier Bleu. Sa dernière conférence portait sur les rapports entre proximité et conflictualité dans l’écriture, intitulée « Au rythme de la guérilla : proximité, colère et offensive chez Monique Wittig », présentée à l’Université de la Sorbonne-Nouvelle.

Nora Kervroëdan est écrivaine. En 2020, elle publie son premier livre, Les filles d’Artaud/Le rire des hystériques, chez RKI Press. Elle est également autrice pour la compagnie OAK, une compagnie articulée autour de la littérature et de la danse, co-fondée avec sa sœur, Lola Kervroëdan. Elle a également participé à la traduction collective de The Undercommons : fugitive planning and black study, de Fred Moten et Stefano Harney, publiée par les éditions Brook. Son texte, « Monotropa Uniflora : all that devastates the eye », une étude sur la fleur fantôme et Emily Dickinson, est à paraître dans l’ouvrage collectif Herbier Queer.

Pour citer cet article : Rachel Boyer & Nora Kervroëdan, « « It’s just a turn — and freedom! » /  Emily Dickinson, illisibilité et surveillance » publié le 7 avril 2024, Revue Turbulences #02 | 2025, en ligne, URL : https://turbulences-revue.univ-amu.fr/rachel-boyer-nora-kervroedan-emily-dickinson-its-just-a-turn-and-freedom/dernière consultation le 15 mai 2025.

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Zach Blas, Fag Face Mask, 2012, série Facial Weaponization Suite, polyéthylène téréphtalate recyclé thermoformé peint. Courtesy Zach Blas.
Zach Blas, Fag Face Mask, 2012, série Facial Weaponization Suite, polyéthylène téréphtalate recyclé thermoformé peint. Courtesy Zach Blas.

I. Un maximum de clarté…

Qu’est-ce qu’Emily Dickinson peut nous apprendre sur la société de surveillance ?

Début octobre 2024, France Info dévoilait le plan du gouvernement Barnier prévoyant la généralisation de la vidéosurveillance algorithmique (VSA) déjà expérimentée pendant les JO.

La VSA n’est pas « intelligente », comme on l’entend souvent, mais automatisée. Ce sont des caméras augmentées par des logiciels qui promettent une analyse en temps réel d’images de vidéosurveillance. En dialogue direct avec la police, l’introduction de ces technologies d’automatisation va permettre à des entreprises privées de régir l’espace public en déterminant les limites d’un comportement dit normal ou normé.

Loin d’avoir attendu les JO, ces logiciels sont introduits en France depuis une dizaine d’années par le biais de différentes entreprises comme Briefcam, une entreprise israélienne qui a la mainmise sur le marché français de la vidéosurveillance. Leur logiciel est notamment doté d’une option de reconnaissance faciale qui peut être enclenchée par un simple clic. Au cœur de ce nouveau marché de la sécurité, outre le suivi de personne (tracking, pistage) et la reconnaissance faciale, certaines entreprises expérimentent la détection d’émotions et pratiquent une constante mise en données des personnes 1.

Au-delà des avancées technologiques qui permettent la création de nouveaux outils plus intrusifs les uns que les autres, c’est d’abord la notion de transparence qui sert de premier bloc à une telle généralisation et dissémination de l’œil de la surveillance dans la société, que ce soit de façon verticale, entre le pouvoir et les individus, ou de façon horizontale, entre les individus eux-mêmes. En effet, le sujet surveillé est un sujet entièrement soumis au champ visuel, un sujet dont la récognition (sa capacité à être reconnu) est devenue la première condition de sa subjectivité. L’œil est ainsi décuplé et la lisibilité devient un pré-requis pour accéder à différentes formes de mobilité, qu’elles soient physiques, sociales ou politiques. C’est-à-dire que dans ce gigantesque régime oculaire, nous devenons les cibles – mais aussi les acteurs – d’une lecture algorithmique ou qui fonctionne comme telle, lecture qui est à la fois un geste de réduction, d’anticipation et de contrôle agissant dans un réseau d’intelligibilité stricte.

Serait-il absurde d’imaginer que cette omniprésence de la surveillance dans nos vies, de sa logique et de sa pratique, que la célébration de la transparence en tant que concept primordial, en viendrait à influencer notre façon de voir, notre façon de lire, notre façon d’interagir avec la littérature ? Celle-ci, après tout, est intégrée à cette grille de pouvoir. Elle est donc à la fois un lieu de reproduction de la surveillance où la lecture se fait acte de redressement et un lieu plausible de résistance, un lieu d’opacité offensive où l’écriture et la lecture deviennent forces de transformation du pouvoir et de neutralisation de l’œil. Si la lecture algorithmique s’apparente à un redressement, c’est parce qu’elle a pour unique but de dévoiler, de rendre lisible, visible et linéaire, pour assurer une communication optimale. Notre approche, intentionnellement anachronique, s’attache à rompre cette linéarité.

Selon Tyne Daile Sumner, auteure de Lyric Eye: The Poetics of Twentieth-Century Surveillance (2021), on pouvait déjà observer que la poésie lyrique, allant de l’entre-deux guerre jusqu’aux poètes confessionnels, avait joué un rôle notable dans l’histoire de la surveillance américaine. En soulignant l’émergence d’une nouvelle notion de la confidentialité en corrélation avec le lyrisme américain, Sumner démontre en quoi la poésie est une discipline traversée par des pratiques de surveillance qui se concrétisent en dispositifs discursifs tournés vers une politique de la transparence (confessions, aveux et culture du « petit secret »). Ce que Sumner désigne alors comme une « poétique de la surveillance » renvoie plus largement à un processus par lequel un corpus insoupçonné a pu participer à façonner une culture de la transparence dont les technologies de contrôle forment, de nos jours, un contexte techno-politique alarmant.

Il est intéressant de constater que c’est Emily Dickinson qu’elle prendra comme contre-exemple de ces poétiques dans son article Poetry as a surveillance survival guide (Sumner, 2021). En effet, en nous appuyant sur la posture auctoriale que Dickinson met en place dans sa poésie, nous pouvons faire de cette dernière une figure d’opposition contre l’injonction à la communication optimisée qui produit notre subjectivité moderne. L’étude de Sumner questionne, au cœur du poétique, ces pratiques de véridiction qui construisent la subjectivité – conformément à un ensemble de règles de production du discours – et la fonde en sujet gouvernable, qui « n’est pas requis simplement d’obéir, mais de manifester, en l’énonçant, ce qu'[il] est 2 » (Foucault, 2012, p. 317). Ainsi, si ces écritures de la surveillance mettent en scène une représentation standardisée où s’effectue une « certaine distribution concertée des corps, des surfaces, des lumières [et] des regards » (Foucault, 1975, p. 204), il nous semble qu’aujourd’hui, dans une société où la surveillance atteint un niveau d’infiltration sans précédent, il est vital d’étudier la nature des gestes qui s’y opposent.

Dans son article, Sumner s’intéresse principalement au poème I’m Nobody! Who are you? d’Emily Dickinson qui est traditionnellement lu comme un éloge de l’anonymat littéraire :

I’m Nobody! Who are you?
Are you – Nobody – Too?
Then there’s a pair of us?
Don’t tell! they’d advertise – you know!

How dreary – to be – Somebody!
How public – like a Frog –
To tell one’s name – the livelong June –
To an admiring Bog! 3 (1975, p. 133)

Cependant, l’opposition Nobody/Somebody nous semble aller davantage dans la direction d’un refus plus radical, celui de se rendre identifiable. Par sa critique d’un mode d’être public, d’une reconnaissance nominative et patronymique, Dickinson met en scène un retrait de la socialisation. À la façon d’Ulysse face au Cyclope, la phrase « I’m Nobody » fonctionne comme une esquive, un jeu linguistique servant à faire disparaître la référentialité du Je. Son travail pronominal est connu pour poser des difficultés de compréhension et de traduction chez ses lecteurs. Escamotée de façon à ce qu’on ne sache plus quel est le sujet de la phrase, la syntaxe détourne sans cesse le pronom de l’énoncé, qui finit par atteindre une « référentialité nulle » (Patoyt, 2012, p. 653). Dans le cas présent, qui a crevé l’œil du Cyclope ? Personne. Qui écrit ? Personne. Emily « préfère inexister » et « rester dans l’ombre » (Foglia, 2024, p. 149), ou plutôt, se rendre socialement non-existante, au sens de Galloway et Thacker, c’est-à-dire par le biais d’une tactique de l’abandon de la représentation de soi et de l’énonciation identitaire et subjective (2007, p. 135-137). Il s’agit là de l’affirmation littéraire d’une idiosyncrasie dickinsonnienne qui sert de socle à une forme de résistance ingénieuse : « I only said – the Syntax –/And left the Verb and the Pronoun – out 4 » (Dickinson, 1975, p. 238).

Nous souhaitons considérer les écrits de Dickinson comme antagonistes aux poétiques de la surveillance en nous attachant justement à ces zones d’ombres, aux moments où la faillite du regard qu’elle impose donne à lire une poésie dite obscure ou cryptique, mais décidément fatale à toute distribution représentationnelle de l’écriture. En effet, si tout écrivain minoritaire « entre dans la littérature à l’oblique », comme l’écrit Monique Wittig (2013, p. 101), il s’agit pour nous, en tant que lectrices, de réaffirmer cette orientation par une approche à la fois expérimentale et irrégulière. C’est-à-dire d’entrer « par effraction » dans ses poèmes et y prendre une arme afin d’y déceler une forme poétique spécifique de l’agir littéraire et politique.

II. Pratique d’une illisibilité

Il est toujours étonnant de constater le nombre de points d’interrogation que la poésie d’Emily Dickinson laisse derrière elle. Académiciens et académiciennes, pourtant aguerris à la pratique du « décodage » et des lectures totalisantes, se font hésitants, voire bégayants face à une poésie qui met en échec toute forme linéaire et univoque d’interprétation : « Qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ? » (Vinclair, 2024, p. 205) ; « – pour dire – pour dire quoi ? » ; « quel était le début de la phrase, déjà ? » (p. 209). Dans son article, Pierre Vinclair ne cherche pas à élucider, mais plutôt à souligner l’ambiguïté de la poésie dickinsonnienne comme étant « expressément opérée par le texte lui-même » et intentionnellement portée à un seuil « d’incertitude maximale » (p. 213).

Un effet d’ambiguïté qui ne se limite ni aux accents métaphysiques ni au genre lyrique de l’époque, mais qui a trait à une clandestinité 5 stratégique, un refus de la pleine lisibilité et de la libre circulation du sens. Si ses poèmes poussent même ses plus rigoureux lecteurs à se demander s’il faut réellement « comprendre la poésie d’Emily Dickinson 6 », c’est parce que l’opacité de ses écrits s’impose comme obstacle à toute tentative de faire de la lecture un acte de restitution.

Puisque Dickinson, disent ses lecteurs, est « une femme de l’ombre », il semble qu’il y ait presque un consensus général pour entrer dans ses poèmes les yeux fermés. C’est donc par tâtonnement que nous resterons à l’affût des instants du poème « où la forme s’offusque » (Derail-Imbert, 2010, p. 10) et met en crise la représentation et le lisible. Dans son article « L’orbe du sens : les éclipses d’Emily Dickinson », Cécile Roudeau identifie cette crise de la forme notamment dans l’usage singulier du tiret, marque distinctive de la poésie dickinsonnienne, qui participe à élaborer des changements et des retournements syntaxiques : « […] dans la poésie de Dickinson, l’articulation même entre la dissolution et la forme se pose, et se retourne, dans le même temps, le tiret étant comme la trace de cette double volte » (Roudeau, 2010, p. 49).

Si à « toutes ces questions qui affluent lorsqu’on la lit, […] il est question de ne pas y répondre, surtout » (Albarracin, 2024, p. 51), nous souhaitons la lire par l’entrebâillement d’une porte donnant sur une des sources primordiales de ces détournements poétiques : si Emily nous tourne le dos 7, c’est d’abord parce qu’elle est tournée vers une femme. La symbolique instable, les allégories et les renvois obscurs de ses poèmes sont lus comme le produit d’une écriture profondément traversée par des inflexions théologiques (Derail-Imbert, 2010, p. 10). Pourtant, les adresses à Susan Dickinson, sa belle-soeur, forment une symbolique identifiable, un code, un premier organe d’illisibilité pour l’expression cachée de l’amour lesbien. Après la publication de Rebecca Patterson en 1951, The Riddle of Emily Dickinson, portant sur l’homoérotisme de ses poèmes et la publication sur la correspondance de Susan et Emily, Open Me Carefully, publiée en 1998 par Ellen L. Hart et Martha N. Smith, il n’y a plus de doute, les déclarations amoureuses et l’expression de sa sexualité forment une première mesure de camouflage. Si le jeu du « décodage » n’est pas notre finalité, il s’agit malgré tout de relever les tentatives, même partielles, d’obstruction du regard.

S’il est bien trop récurrent dans les textes d’analyses de la voir présentée comme une vierge en robe blanche attendant le mariage jusqu’à sa mort, nous insistons pour faire d’elle « une lesbienne pratiquante 8 » (Rich, 2024, p. 23). On retrouve dans ses poèmes la présence d’un réseau de citations et de renvois à Shakespeare utilisé pour envoyer à Susan des messages encodés, érotiques et amoureux. Si nous nous attachons précisément au travail de Comment, c’est parce qu’elle rend à Dickinson une réelle agentivité qui lui a trop souvent été retirée, à la fois sur le plan sexuel et sur le plan philologique 9. En utilisant un code renvoyant spécifiquement à la pièce de théâtre Antoine et Cléopâtre (1623), reconnue pour ses nombreuses allusions sexuelles et l’intense désir des protagonistes, Dickinson identifie son amour pour Susan à celui d’Antoine pour Cléopâtre. Seuls mots d’une lettre envoyée à Susan, « Egypt – thou / knew’st10 » (Dickinson, 1998, HB25) renvoient à l’acte 3, scène 11 dans laquelle Antoine rappelle à Cléopâtre le pouvoir qu’elle a sur lui, et ce, par le biais de différentes allusions sexuelles : « Quand Antoine se lamente auprès de “l’Égyptienne”, expliquant que son “cœur était attaché par toutes ses cordes à [son] gouvernail”, Shakespeare utilise le terme “gouvernail” comme une référence particulièrement grossière aux parties intimes de Cléopâtre 11 » (Comment, 2001, p. 171). Ou encore la référence sexuelle au « souper d’Antoine » (c’est-à-dire Cléopâtre) dans « Susan’s Calls are like Antony’s Supper 12 ) », extrait d’une lettre-poème destinée à son amante, qui est suivie par la phrase « – “And pays his Heart for what his Eyes eat, only13 » (Dickinson, 1998, B24), citation directe de l’acte 2, scène 2, qui renvoie à la première rencontre des protagonistes. Ces allusions à la pièce de Shakespeare démontrent un intérêt pour l’aspect charnel et sexuel de cette relation que Dickinson positionne en miroir face à son histoire avec Susan.

Ce code est la création d’un système de communication dont le sens ne peut circuler qu’entre l’émetteur et le récepteur. L’information codée n’est accessible qu’au sein d’une relation sociale donnée, avec ses gestes, ses regards et ses références propres. Il est donc possible de percevoir la relation lesbienne qu’elle entretient avec Susan comme étant, à son niveau le plus bas, une forme d’illisibilité par le biais d’une stratégie de codification littéraire. Il s’agit là du premier geste de soustraction à la surveillance qui s’opère dans son œuvre. Ce régime allusif sera finalement déchiffré par plusieurs chercheurs et chercheuses comme étant révélateur d’une relation érotique. Après la mort de Dickinson, les lettres-poèmes les plus explicites envoyées à Susan seront raturées et même modifiées (par son frère, sa sœur, ainsi que ses éditeurs) via des tactiques que l’on peut rapporter à une forme d’hétéroredressement 14 puisqu’elles ont consisté à systématiquement privilégier les versions masculines de ses poèmes (souvent écrits en plusieurs versions, avec différents pronoms) ou à effacer les dédicaces à Susan, voire même à rayer toute occurrence de son nom.

En effet, lorsque nous lisons Dickinson, nous avons la sensation d’arriver dans le dos du poème.

Cependant, les zones d’opacités qui nous intéressent tiennent à un geste plus radical de détournement du sens. En effet, lorsque nous lisons Dickinson, nous avons la sensation d’arriver dans le dos du poème. Par l’utilisation de prétéritions, d’un style cataphorique 15 et elliptique, et globalement, par des liaisons syntaxiques ambigües, la construction du sens se voit sans cesse sabotée dans sa progression. Dans I dwell in Possibility, Emily définit sa poésie comme étant imprenable par l’œil : « I dwell in Possibility – / A fairer House than Prose […] / Impregnable of eye […] / For Occupation – This – / The spreading wide my narrow Hands 16 » (1975, p. 327). Pour maintenir le texte dans un état d’imprenabilité, la libre circulation de l’œil du lecteur est empêchée et les constructions poétiques font obstacles au bon déroulement de la lecture par une dispersion du sens. Ce travail syntaxique, « the way the sentence toiled 17 » (p. 238), est particulièrement visible dans la troisième strophe de son poème Crisis is a Hair : « Let an instant push / Or an Atom press / Or a Circle hesitate / In Circumference 18 » (p. 421). La strophe, tout comme le cercle, hésite – par la répétition de « Or » – et ne construit pas, mais diffère le sens. La direction des deux premiers vers, qui semblent aller vers une tentative de définition de l’instant de la mort, est soudainement renversée par l’imprécision des deux derniers. C’est ce que Jay Leyda identifie comme une omission du centre dans ses poèmes, « the omitted center » (1960, xxi), le noyau vide d’une phrase à la fois fuyante et retorse. Nous rapportons cette résistance à un geste intentionnel puisqu’il ne s’agit pas de faire des choses dans le dos d’Emily, mais bien d’admettre que la force de son écriture tient en ce qu’elle maintient ses lecteurs « derrière la porte » de sa poésie : « With just the Door ajar 19 » (Dickinson, 1975, p. 317). Forçant son lecteur à se contenter d’un regard oblique ou partiel sur son œuvre, Dickinson exige également une pratique de lecture non-analytique, qui n’est pas orientée vers la clôture sémantique ou l’univocité, mais destinée à prolonger son geste sans le réparer.

Split the Lark — and you’ll find the Music —
Bulb after Bulb, in Silver rolled —
Scantilly dealt to the Summer Morning
Saved for your Ear when Lutes be old.

Loose the Flood — you shall find it patent —
Gush after Gush, reserved for you —
Scarlet Experiment! Sceptic Thomas!
Now, do you doubt that your Bird was true? 20 (p. 412)

Dans l’image de l’oiseau disséqué, nombreux sont les lecteurs et lectrices qui y voient la preuve d’un sentiment religieux, une célébration de la foi en opposition aux méthodologies de l’empirisme scientifique. Cette interprétation repose sur la mention de « Sceptic Thomas », l’apôtre incrédule qui refusa de croire à la résurrection de Jésus-Christ tant qu’il n’avait pas vu lui-même les marques de la crucifixion. Si cette lecture nous semble limitée, c’est parce qu’elle ignore la propre incrédulité de Dickinson (« They are religious, except me » (Dickinson, 1998, L261), ainsi que la présence d’un autre Thomas dans sa vie, lui aussi sceptique, non pas au sujet de la croyance religieuse, mais au sujet de l’opacité de sa poésie. Thomas Higginson, ami, lecteur et futur éditeur, fut effectivement un de ceux qui tenta de convaincre Emily d’accepter les modifications – ou ce qu’il appelait des corrections – sur ses poèmes dans le but d’être publiée de son vivant, ce qu’elle refusa jusqu’au bout. Higginson finira par l’admettre lui-même : « Après tout, lorsqu’une pensée vous coupe le souffle, c’est une impertinence que de donner des leçons de grammaire 21 » (Higginson, 1890, p. 10). Perçu ainsi, Split the Lark n’est plus un éloge de la foi mais une véritable directive sur la lecture, ou plutôt, sur ce qu’elle ne doit pas être.

On peut alors interpréter ce poème comme une critique de la lecture analytique comparée à un acte de dissection qui vient vider la création poétique de sa vitalité. La dissection – a Scarlet Experiment 22 – s’apparente à un regard qui agit comme une mise en données, ici imagée par une suite d’organes ou des jets de sang, « Bulb after Bulb », « Gush after Gush », une simple énumération de faits et de données, censés révéler une vérité limpide et absolue. L’alouette représente alors le poème – ou l’œuvre d’art – qui se trouve divisé et réduit en diagramme 23 par une lecture dataifiante qui ne laisse rien d’autre derrière elle qu’un cadavre ouvert, aux cordes vocales coupées. Si l’expérience écarlate est celle d’une lecture tendue vers la transparence, alors le mot « patent » peut être lu dans les deux sens du terme : à la fois l’œuvre rendue évidente et manifeste, mais aussi l’œuvre brevetée 24, devenue propriété privée, c’est-à-dire mutilée selon différents protocoles éditoriaux dans le but d’être pleinement lisible et donc commercialisable.

Split the Lark nous sert alors à définir ce que nous avons appelé la lecture algorithmique et met en évidence la défiance d’Emily envers les lectures linéaires et le rapport élucidant à ses poèmes : « Eyes were not meant to know 25 » (1975, p. 217). D’une certaine manière, ce poème préfigure la formule foucaldienne : « La visibilité est un piège. » (Foucault, 1975, p. 234)

III. Volte et soulèvement

Identifier la neutralisation du regard chez Emily Dickinson se révèle être doublement utile, à la fois pour réimaginer des modes de résistance face à un dispositif de contrôle intrusif qui ne laisse rien intact – ni le corps, ni la langue, ni le poème –, mais aussi pour secouer les habituelles lectures de Dickinson qui l’enferment dans divers clichés. Son retrait de l’espace public à la fin de sa vie a fait d’elle la poète de l’enfermement, la « recluse » aux poèmes mystiques. Pourtant, « Emily Dickinson semble enregistrer elle-même et revendiquer ce mouvement de retrait, en faire un acte volontaire, médité [et] assumé » (Foglia, 2024, p. 149). C’est là une relation à l’espace et à la société souvent traitée comme phobique, excentrique, parfois poétique, mais jamais entièrement stratégique. Or, comme l’écrit Harold Bloom, « Dickinson a peut-être été disjonctive et agrammaticale, mais elle n’a jamais été accidentelle 26 » (1999, p. 56). Si la fuite via l’espace privé chez Dickinson a été identifiée par Aurélie Foglia comme la préfiguration de son exclusion sociale liée à son histoire d’amour avec Susan (2024, p. 153), il faudrait aller plus loin et y reconnaître le geste d’une interruption de sa « disponibilité » à l’autorité et une instrumentalisation stratégique de sa condition de femme circonscrite à un espace clos. C’est dans le but de devenir clandestine, c’est-à-dire d’être en contravention avec les lois et règlements, de se dérober à la surveillance et au contrôle, que Dickinson finira sa vie dissimulée. Cette modalité d’incarnation socialement asignifiante, dépourvue de toute identité représentable, est résolument corrélée à sa pratique d’écriture.

L’œuvre d’Emily Dickinson résonne encore comme une poésie traversée par l’expression d’une vision singulière où l’œil et le visible prennent une place importante, mais particulièrement morcelée, rythmée par un certain battement entre ombre et lumière. Les poèmes et les lettres d’Emily sont ponctués par des éloges de l’ombre et par un abandon de l’identité : « When I state myself, as the Representative of the Verse – it does not mean – me – but a supposed person 27 ) » (Dickinson, 1998, L268). Comme en témoigne la récente édition Je cherche l’obscurité, traduite par François Heusbourg, Emily « joue dans le dos du jour » (cf. quatrième de couverture) : « I seek the Dark 28 » (1975, p. 500) ; « I see thee better — in the Dark — I do not need a Light 29 » (p. 301) ; « night is my favorite Day 30) » (Dickinson, 1998, L843). C’est donc par la mise en place d’un dispositif formel qui se détourne, qui fait volte-face – indice d’un « présent » poétique « se contestant de l’intérieur » (Huberman, 2019, p. 59) – que Dickinson fait vivre une écriture révoltée.

Geste canonique de son travail sur la phrase, l’action de détour est représentative du « circuit dickinsonien » (Savinel, 2011, p. 45) : l’absence de fixation sémantique, son ironie, sa syntaxe heurtée, son réseau symbolique instable et son attrait pour l’ambivalence de la référentialité pronominale rendent toute « tentative d’édification de règles globales » pour « le transcodage » de sa poétique impossible (Patoyt, 2012, p. 49). C’est bien depuis cette force disjonctive que Dickinson participe à rajouter de la complexité au poème, voire à le renverser de l’intérieur, vers des directions inattendues. Comment un poème pourrait-il se détourner de, ou peut-être même se révolter contre sa propre résolution ?

Moment d’interruption, la volte renvoie traditionnellement au renversement qui s’opère entre les quatrains et les tercets dans le sonnet. De l’italien rivoltare, la volte, également appelée « charnière », désigne étymologiquement l’action de se tourner ou de se détourner. Forme motrice, elle est un retournement formel ou un contre-mouvement qui permet des redirections rhétoriques ou sémantiques, un changement radical dans lequel se ramasse toute l’intensité du geste poétique. La volte est reconnaissable par un changement de direction, un ajout ou l’inversion brutale d’une image, d’un ton, ou encore par la modification de la structure syllabique. C’est cet instant de « mutabilité » ou de « violent retournement », « un corollaire de la position fondamentale de Dickinson sur l’indétermination, ce mouvement de renversement ou de subversion radicale fournit la structure pour plusieurs de ses poèmes, de ses vers et même de ses séquences de mots 31 » (Savinel, 2009, p. 401).

Même prise dans son sens le plus classique, la volte reste un moment de déséquilibre, un point de rupture des éléments poétiques installés précédemment dans le poème. Si, d’après Rancière, on peut rapprocher l’activité poétique d’une activité immédiatement politique, c’est uniquement en ce que le poème propose un nouvel équilibre entre les formes de visibilité et les modes d’intelligibilité (2007, p. 11-15). Une nouvelle distribution de ses pouvoirs dans sa forme qui permet de nouvelles modalités d’intervention dans le réel. Si l’idée de la forme littéraire comme objet révolutionnaire est loin d’être nouvelle, nous suivons plutôt l’idée que c’est justement sa crise qui offre d’autres façons de résister. C’est ce moment où le poème se tourne et participe à l’organisation d’une zone de non-gouvernabilité et d’étrangeté radicale que nous avons identifiée chez Dickinson. Ainsi, la volte, comprise comme une action formelle et comme un concept heuristique élargi, ne pourrait-elle pas nous permettre de repenser les rapports entre littérature et politique ?

Ainsi, la volte, comprise comme une action formelle et comme un concept heuristique élargi, ne pourrait-elle pas nous permettre de repenser les rapports entre littérature et politique ?

S’il ne s’agit pas de confondre la plume avec l’épée, le questionnement autour d’une reconfiguration des rapports entre littérature et politique reste urgent au vu de l’oscillation entre la littérature dite révolutionnaire et ses sempiternels constats d’impuissance 32. Si la posture nuancée semble comporter le moindre risque et une plus grande amplitude pour comprendre et déplacer les articulations entre littérature et champ politique, à la suite de Sandra Lucbert, il faut rappeler que « le soulèvement du monde est une œuvre collective : la littérature y prend sa place. Ni prodigieuse, ni nulle » (2024, p. 37). Elle a bien le potentiel de se faire accompagnement effectif du politique, d’être sa base arrière. C’est seulement en admettant que les formes corporelles de résistance et que les gestes révolutionnaires concrets peuvent être doublés par des gestes d’écriture que, dans ce « contre-feu commun » (Lucbert, 2024, p. 36), la littérature peut réellement prendre la forme d’une répétition générale pour le soulèvement.

En ce sens, la volte, qui est d’abord liée aux corps avant d’être circonscrite à une discipline donnée, est bien cette insurrection de la forme qui permet au poème, détourné de sa propre résolution, d’émerger à la hanche d’un soulèvement. Voilà ce qu’Emily Dickinson peut nous apprendre sur la surveillance globalisée : comment y résister par un geste critique et l’expérimentation artistique des limites des pouvoirs hégémoniques qui traversent le langage. À partir de ce branchement-là, il faut recouvrir le commun des gestes, anachroniquement, pour arriver, d’une volte à l’autre, à l’émergence d’un mouvement collectif : une volte permanente.

En octobre 2019, le Chili est traversé par une « explosion sociale » (el estallido social) déclenchée par la réaction de la jeunesse à l’annonce de la hausse du prix du ticket de métro. Rapidement tout le pays – rejoint par les luttes féministes et mapuches – se soulève contre l’enfer néolibéral hérité de la dictature Pinochet. Après avoir déclaré l’état d’urgence, le président Sebastian Piñera devient le chef d’orchestre d’une violente répression dont la jeunesse sera la principale victime. Le bilan est d’une trentaine de morts, des milliers de blessés dont 400 cas de lésions oculaires, des milliers d’arrestations, des centaines de cas de violences sexuelles et des actes de torture en détention.

À l’extrême violence de la police chilienne (les carabiniers) et de l’armée, la jeunesse répond par l’organisation, ou la stratégie, caractérisée par un mouvement incessant. C’est la mise en place de la Primera Línea, une première ligne hyper-organisée, sorte de guérilla urbaine à rangs multiples qui sert de frein pour empêcher l’avancée des forces de l’ordre et protéger le reste des manifestants. Des jeunes des quartiers les plus pauvres, des étudiants endettés, des femmes, des personnes queer, des Mapuches, des migrants et d’autres, constituent, à visages masqués, cette première ligne ultra-efficace. Les rues sont dépavées pour monter des barricades et toutes sortes d’objets sont réappropriés pour permettre à la Primera Línea de s’ériger en obstacle face à la police. Sorte d’enrayement massif de la machine répressive du capitalisme (qui agit au Chili comme partout ailleurs), la Primera Línea s’est également organisée 33 en agencement anti-surveillance en utilisant une multitude de lasers verts pour aveugler les policiers et endommager des caméras de surveillance. Cette tactique s’apparente à un réel détournement de l’œil qui impose une zone d’opacité propice autant au retrait qu’à l’offensive.

Des manifestants chiliens munis de lasers, novembre 2019, Santiago. Photo © Marcelo Hernandez / Getty
Des manifestants chiliens munis de lasers, novembre 2019, Santiago. Photo © Marcelo Hernandez / Getty

Quasi immédiatement, en réponse à cette riposte masquée et organisée, le gouvernement chilien introduit une loi antiencapuchados, faisant de l’occultation de l’identité une circonstance aggravante. Si c’est bien le recours au laser qui nous intéresse ici, il est essentiel de noter cet aspect particulier de la répression. En effet, ces tentatives de criminalisation de l’illisibilité du visage se multiplient dans le monde entier, mettant ainsi en évidence l’importance de la « lecture » dans la répression contemporaine des mouvements de contestation. L’identification, bien sûr, n’est pas une pratique nouvelle (bertillonnage) mais lorsqu’elle peut avoir lieu partout, tout le temps, par le biais de technologies toujours plus intrusives et avec le soutien des gouvernements, alors l’opacité doit s’imposer comme tactique incontournable des résistances.

Voilà qui nous ramène au laser, cet ingénieux tour du poignet : un petit objet bon marché dé/tourné contre une caméra de surveillance montée sur un drone. Ce duel ultra-contemporain entre un système de techno-contrôle tentaculaire et des techniques improvisées d’esquive pointe l’évidente créativité au cœur des nombreuses pratiques d’opacité qui émergent ici et là. Mais la particularité du laser, par rapport au déploiement de parapluies par exemple, se situe dans sa posture offensive. Le manifestant armé de son laser n’est pas caché et n’est pas pris dans un mouvement de repli. Le laser nécessite, au contraire, d’être tourné vers sa cible, visage maintenu dans un état d’illisibilité. Puis, par la démise de l’œil digital, une mise en échec du voir hégémonique, le manifestant invente une stratégie de contre-visualité le rendant, ne serait-ce que quelques secondes, parfaitement inaccessible. Avant d’être capté par une autre caméra à l’angle d’une autre rue, le manifestant ressort son laser et renouvelle sa volte. Cette danse collective se poursuit, répondant au renouvellement permanent des technologies de surveillance par autant de nouveaux gestes de résistance.

Ainsi, en passant de la volte d’Emily Dickinson au laser d’un manifestant pointé sur une caméra de surveillance, nous nous attardons sur la part d’opacité dans chacun de ces événements. Le but n’est ni de prétendre que la gestuelle du texte est équivalente à celle du manifestant, ni de les aborder comme des moments disjoints, appartenant chacun à leur propre archive – poésie/action politique – mais au contraire, de faire proliférer la force qui les traverse, l’argument étant que par la volte, la poésie et le geste du manifestant deviennent irrésistibles.

IV. Pour une opacité offensive

Lire la volte d’Emily Dickinson comme un geste continuellement insaisissable nous permet d’approcher le texte qui se tourne comme une mise en échec des différents mécanismes de capture, d’assimilation ou de gouvernance, et d’en faire une action stratégique contre le dispositif oculaire, qu’il soit le système d’intelligibilité d’une société, notre grille normative de saisie du réel, ou un logiciel de reconnaissance faciale. Alors, à la suite de Foglia qui perçoit dans le démembrement du moi d’Emily une anticipation de son exclusion, ne pourrait-on pas déceler dans sa disparition de la scène sociale les indices répétés d’une opacité queer ?

La reconnaissance faciale et les outils de la surveillance ne sont finalement que l’inscription digitale de normes binaires (cishétéronormées, racistes, validistes, classistes) et donc de discriminations et oppressions multiples. Il semble alors important d’identifier des pratiques de résistance traversant les disciplines et permettant la création de formes autonomes de visibilité hors des dangers du voir hégémonique. C’est la question posée par Eric Stanley en réaction aux exigences de récognition et de visibilité trans : « To put it another way, at the center of the problem of recognition lies this : How can we be seen without being known, and how can we be known without being hunted? 34 ) » (2021, p. 87).

Le queer, en tant qu’expression de genre interrompant les processus d’identifications immédiats, est chargé d’un important potentiel de résistance et de contre-visualité, une forme de minage face à la notion même de récognition, moteur de reconnaissance et de capture. En ce sens, le travail de Zach Blas intitulé Facial Weaponization Suite est exemplaire de ce brouillage. Projet de protestation contre les inégalités reproduites et propagées par les technologies biométriques, il s’agit d’une série de masques anti-surveillances ne pouvant pas être détectés comme humains par des logiciels de reconnaissance faciale. Plus spécifiquement, en réponse à des rapports « scientifiques » expliquant pouvoir déterminer l’orientation sexuelle grâce à la reconnaissance faciale, il crée en 2012, le Fag Face Mask, un masque collectif généré à partir des données biométriques faciales d’hommes queers. Masse rose informe, le masque s’oppose au capitalisme de la surveillance par la création d’une opacité que Blas désigne par le terme de brouillard : « Becoming non-existent turns your face into a fog, and fog makes revolt possible 35. »

Dickinson, avançant à visage masqué, rejoint ces formes queer de résistance, refusant de céder à une socialité récupérable et commercialisable, pleinement lisible et visible. De la plume de Martha Dickinson, nièce d’Emily et fille de Susan, nous en apprenons un peu plus sur ce geste de détournement par lequel nous connectons cette petite chambre d’Amherst au reste du monde : « Son amour pour la solitude de sa chambre était associé à ses sentiments pour une clé représentant l’absence d’interruption et d’interdiction sociale qui la harcelaient en bas. Elle se tenait, regard baissé, une main levée, pouce et index pressés sur une clé imaginaire, et disait, avec un rapide tour du poignet, “c’est juste un tour – et la liberté, Matty!” 36 ) » (Dickinson Bianchi, 1932, p. 46). C’est cette main qui nous hante, tenant une clé comme un manifestant tient un laser : juste un tour et la liberté !

Bibliographie

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  1. « Qu’est-ce que la vidéosurveillance algorithmique ? », La Quadrature du net. www.laquadrature.net/2022/03/23/quest-ce-que-la-videosurveillance-algorithmique, consulté le 05 octobre 2024. [Retour au texte]
  2. « […] le gouvernement des hommes demande de la part de ceux qui sont dirigés, en plus des actes d’obéissance et de soumission, des “actes de vérité” qui ont ceci de particulier que non seulement le sujet est requis de dire vrai, mais de dire vrai à propos de lui-même, de ses fautes, de ses désirs, de l’état de son âme, etc. ? Comment s’est formé un type de gouvernement des hommes où on n’est pas requis simplement d’obéir, mais de manifester, en l’énonçant, ce qu’on est ? » (Foucault, 2012, p. 317). [Retour au texte]
  3. « Je suis Personne ! Qui êtes-vous ? / Êtes-vous – Personne – aussi ? / Ainsi nous faisons la paire ! / Ne le dites pas ! Ils le feraient savoir – c’est sûr ! / Comme c’est ennuyeux – d’être – Quelqu’un ! / Public – comme une Grenouille – / Qui crie son nom – tout le long de Juin – À un Marécage béat ! » (Dickinson, 2009, p. 229). [Retour au texte]
  4. « je n’ai noté que la Syntaxe – / Laissant Verbe et Pronom – de côté » (Dickinson, 2009, p. 245). [Retour au texte]
  5. Dans une lettre à Susan, Emily écrit : « Miss Julia, never dreamed of the depths of my clandestiny » (Dickinson, 1998, HL4). [Retour au texte]
  6. « Au cours d’une présentation dont le texte ne figure pas dans le présent recueil, Pascal Aquien posait d’emblée à la poésie de Dickinson la question qui allait traverser toutes les propositions de lecture avancées ce jour-là, en demandant frontalement, abruptement : “Faut-il ?” Par l’audace d’une telle interrogation, Aquien établissait avec force l’évidence obscure de cette poésie, comme s’approchant de celle du monde. Il signalait, d’entrée de jeu, le danger qui menace l’herméneute, affronté à l’épreuve de l’inexpliqué, au poids de non-sens du poème, qui exige pourtant d’être lu à la lettre » (Derail-Imbert, 2010, p. 10-12). [Retour au texte]
  7. Nous faisons référence ici au titre de l’article de Mary Cappello, « Dickinson’s Facing or Turning away » (Cappello, 2005, p. 567–584). [Retour au texte]
  8. « Je ne m’attends pas à ce que l’on transforme Emily Dickinson en lesbienne pratiquante… », l’expression est empruntée à Toni McNaron, citée par Adrienne Rich dans son article « Le Vésuve au sein d’une maison » (Vinclair, et al., 2024, p. 23). [Retour au texte]
  9. Pour nier l’intention d’un tel parallèle, il faut à la fois prétendre que Dickinson n’aurait été qu’une lectrice naïve et désinformée de Shakespeare, ce que de nombreuses lettres viennent contredire, mais aussi s’appliquer à réduire, par des manipulations grossières et infantilisantes, une relation amoureuse complexe et intense à une simple amitié adolescente. Comme le pointe Martha Nell Smith, citée par Kim M. Comment : « After three decades, when [Dickinson] characterizes [her] love to Sue, she does not compare it to the adolescent, swept-away passion of Romeo and Juliet, but to the sophisticated, persistent, if tired love of Antony and Cleopatra » (2001, p. 171). [Retour au texte]
  10. « Égyptienne, tu savais trop bien ». Voir URL : https://fr.wikisource.org/wiki/Antoine_et_Cléopatre_(Shakespeare,_trad._Hugo). [Retour au texte]
  11. Nous traduisons. « When Antony laments to “Egypt” that his “heart was to [her] rudder tied by th’ strings,” Shakespeare uses the term “rudder” as a particularly bawdy reference to Cleopatra’s private parts » (Comment, 2001, p. 171). [Retour au texte]
  12. « Les invitations de Susan sont comme le souper d’Antoine » (Nous traduisons. [Retour au texte]
  13. « il paye de son cœur ce que ses yeux seuls ont dévoré » Voir URL : https://fr.wikisource.org/wiki/Antoine_et_Cléopatre_(Shakespeare,_trad._Hugo). [Retour au texte]
  14. La notion d’hétéroredressement, traduit du terme straightening, de Sara Ahmed apparaît dans son ouvrage Queer Vandalism, récemment traduit par Mabeuko Oberty et Emma Bigé aux éditions Burn~Août. [Retour au texte]
  15. Ici le style cataphorique d’Emily Dickinson désigne le procédé rhétorique consistant à utiliser un pronom en amont du référent auquel il renvoie. [Retour au texte]
  16. « J’habite le Possible – / Maison plus belle que la Prose – / […] Vue imprenable – / […] Comme Occupation – celle-ci – / Ouvrir toutes grandes mes Mains étroites » (Dickinson, 2009, p. 441). [Retour au texte]
  17. « tant la phrase était laborieuse » (Dickinson, 2009, p. 245). [Retour au texte]
  18. « Il suffit d’une poussée d’une seconde / Ou de la pression d’un Atome / Ou de l’hésitation d’un Cercle / Dans la Circonférence » (Dickinson, 2009, p. 917). [Retour au texte]
  19. « Avec juste la Porte entrebâillée » (Dickinson, 2009, p. 661). [Retour au texte]
  20. « Fends l’Alouette – tu trouveras la Musique – / Enroulée, Pelure après Pelure, en bulbes d’Argent – / Offerts avec parcimonie au Matin d’Été / Conservée pour ton Oreille, quand les Luths seront remisés – / Lâche le Déluge – Déluge patenté – / Jaillissements de Flots successifs, pour toi seul – / Expérience Écarlate ! Thomas sceptique ! / À présent, doutes-tu que ton Oiseau t’était fidèle ? » (Dickinson, 2009, p. 823). [Retour au texte]
  21. « une Expérience Écarlate » (Dickinson, 2009, p. 823). [Retour au texte]
  22. « une Expérience Écarlate » (Dickinson, 2009, p. 823). [Retour au texte]
  23. Presqu’un siècle plus tard, dans le poème « Admonition » qui fait écho à Dickinson, Sylvia Plath évoquera la même idée dans un langage qui nous rapproche encore un peu plus de l’algorithme : « If you dissect a bird / To diagram the tongue / You’ll cut the chord / Articulating song ». [Retour au texte]
  24. Selon la définition de The Cambridge Dictionary, « a patent is a type of intellectual property that gives its owner the legal right to exclude others from making, using, or selling an invention. » Voir URL : https://dictionary.cambridge.org/dictionary/english/patent. Consulté le 7 octobre 2024. [Retour au texte]
  25. « Les yeux ne sont pas destinés à connaître » (Dickinson, 2009, p. 427). [Retour au texte]
  26. Nous traduisons. « Dickinson may have been disjunctive and ungrammatical, but she was never accidental » (Bloom, 1999, p. 56). [Retour au texte]
  27. « Lorsque je me déclare comme la Représentante du Vers — cela ne me désigne pas — moi — mais une personne supposée » (Nous traduisons. [Retour au texte]
  28. « recherchant l’Ombre » (Dickinson, 2009, p. 961). [Retour au texte]
  29. « Je te vois mieux – dans l’Ombre – / Je n’ai pas besoin de Lumière » (Dickinson, 2009, p. 419). [Retour au texte]
  30. « la nuit est mon Jour préféré » (Nous traduisons. [Retour au texte]
  31. « a corollary of [Dickinson’s] fundamental stance of indeterminacy, this movement of radical reversal or subversion provides the structure for many of her poems, lines, and even word-sequences » (Savinel, 2009, p. 401). [Retour au texte]
  32. En témoigne la publication, à plus de dix ans d’intervalle, par la maison d’édition La Fabrique, de deux livres respectivement intitulés « Toi aussi tu as des armes », Poésie et politique (2011) et Contre la littérature politique (2024). Deux publications qui se contredisent et se complètent, et forment un diptyque sur les rapports entre littérature et politique. [Retour au texte]
  33. Au premier rang, les escuderos avec leurs boucliers artisanaux servent de première barrière. Ils sont suivis de près par les peñasqueros et mechas, un second rang armé de barres en fer, de pierres et de cocktails molotov qui est chargé de l’affrontement direct. Viennent ensuite les honderos et mineros avec leurs frondes et lance-pierres. Puis les bomberas, des hommes et des femmes dont la responsabilité est de désamorcer les bombes lacrymogènes avec de l’eau et du bicarbonate de soude. En plus de l’affrontement direct, la Primera Línea sert de stratégie d’extraction des blessés qui sont systématiquement pris en charge par la seconde ligne puis confiés à la troisième et ainsi de suite jusqu’aux centres de soin en milieu de manifestation, organisés par des étudiants en médecine et autres soignants devenus street medics. [Retour au texte]
  34. « Pour le dire autrement, voilà ce qui se joue au cœur du problème de récognition : comment pouvons-nous être vus sans être reconnus, et comment pouvons-nous être reconnus sans être chassés ? » (Nous traduisons. [Retour au texte]
  35. « Devenir non-existant transforme ton visage en brouillard, et le brouillard rend possible la révolte » (nous traduisons.) Voir URL : https://www.ouvroir.fr/radar/index.php?id=402. Consulté le 7 octobre 2024. [Retour au texte]
  36. « Her love of being alone up in her room was associated with her feeling for a key, which signified freedom from interruption and the social prevention that beset her downstairs. She would stand looking down, one hand raised, thumb and forefinger closed on an imaginary key, and say, with a quick turn of her wrist, “it’s just a turn–and freedom, Matty!” » (Nous traduisons. [Retour au texte]