I. Géographie, philosophie, anarchisme
Revue Turbulences : Dans Au voleur ! Anarchisme et philosophie 1, vous écrivez que cet ouvrage est né de la conscience d’un retard de la philosophie sur la géographie : « Retard de la philosophie sur la géographie physique et politique de l’horizontalité, retard de la philosophie sur l’anarchisme » (Malabou, 2022, p. 13). Vous consacrez d’ailleurs les premières pages de l’ouvrage à Élisée Reclus qui s’est assez vite opposé à Marx, le centralisateur, l’économiste pour qui, par ailleurs, Reclus n’était qu’un simple compilateur là où Engels traitait le géographe de cafouilleur et d’impuissant. La rupture de Marx avec Proudhon et Reclus pourrait-elle être l’une des raisons pour lesquelles les philosophes ne se sont pas intéressés à la géographie pas plus qu’ils ne se sont revendiqués, et c’est votre étonnement, de l’anarchisme ? Autrement dit, est-ce parce que les grands philosophes de notre siècle sont des lecteurs de Marx et installent leur pensée dans le sillage de l’histoire – donc du temps et non de l’espace comme le font les géographes – qu’ils ne se sont pas intéressés à la géographie, et notamment à la géographie anarchiste ?
Catherine Malabou : Il est certain que, d’après mes connaissances, aucun philosophe ne s’est jamais intéressé véritablement à la géographie. Je crois pouvoir dire que la question géographique est totalement absente de la philosophie. Ce qu’on trouve – et on y reviendra peut-être – c’est une question de l’espace, évidemment, mais l’espace géographique proprement dit, lui, est resté métaphorique. On trouve chez Deleuze par exemple, les images du pli, du territoire, etc., mais ce sont des métaphores, c’est-à-dire que la science géographique n’est jamais traitée, et en particulier le conflit idéologique qui a pu opposer des géographes comme Élisée Reclus à Paul Vidal de la Blache. Pourquoi la géographie, disons « conservatrice », s’est imposée, en particulier en France, dans les écoles au détriment de la géographie anarchiste ? Je pense que c’est une question qui, à ma connaissance, n’a jamais été posée en philosophie. Elle a été posée par les géographes comme Yves Lacoste 2, par exemple, mais jamais en philosophie. Alors pourquoi ? S’agit-il de la querelle entre anarchisme et marxisme ? Sans doute. La question, je crois, mais c’est une hypothèse, c’est l’origine du capitalisme. Il est clair que pour Marx et Engels, comme on le sait, l’origine du capitalisme est historique, elle part de « l’accumulation primitive ». Et Marx a toujours reproché aux anarchistes d’être incapables de rendre compte de la genèse du capitalisme et, effectivement, ils ne peuvent pas en rendre compte historiquement, dans la mesure où les anarchistes ne croient pas un instant à l’hypothèse de l’accumulation primitive. Kropotkine le dit très bien, puisque l’accumulation primitive voudrait dire que, dans les temps précapitalistes, il y avait déjà une accumulation capitaliste, et pour les anarchistes, ça c’est un cafouillage. Donc à mon avis, ce qui se passe – et Proudhon l’explique bien dans Qu’est-ce que la propriété ? 3 – c’est qu’il y a un trou, là, il y a un blanc. Les anarchistes ne peuvent pas, refusent de rendre compte de l’origine du capitalisme historiquement et préfèrent en parler en termes de vol. Il y a eu quelque chose comme une subreption et, effectivement, un trou dans l’histoire. Et je pense que ce trou dans l’histoire, c’est peut-être l’équivalent de l’introduction de la géographie dans la genèse du capitalisme. C’est-à-dire que, au fond, je crois que ce qui les intéresse, c’est comment on passe d’un espace à un autre sans forcément qu’il y ait une médiation historique. C’est comme ça que je le vois : les anarchistes n’ont pas de théorie de l’origine du capitalisme et il me semble que, même s’il faudrait plus de temps pour développer, le problème entre géographie et histoire vient de là. Donc, oui, les philosophes restent attachés, quoi qu’ils en disent, à un modèle généalogique. Alors, évidemment, Élisée Reclus parle aussi, par exemple, de l’origine du ruisseau 4, mais pas en termes de généalogie, plutôt en termes d’histoire plane, d’une certaine façon, enfin de processus plans et spatiaux. Je crois que les philosophes, même s’ils ont beaucoup critiqué la généalogie, restent complètement attachés à ce modèle.
T : Donc, vous confirmez que s’il y a toujours un courant de géographie anarchiste, on ne peut pas dire qu’il y ait un courant de philosophie anarchiste, nous sommes bien d’accord ?
CM : Nous sommes absolument d’accord. C’est peut-être aussi la faute des anarchistes qui refusent la philosophie, trop idéaliste à leurs yeux. Même si ça c’est une autre question, sur laquelle peut être on reviendra, parce que c’est un point qui m’irrite beaucoup.
T : Si les philosophes qui portent en eux une pensée de l’anarchisme ne se sont pas revendiqués comme anarchistes, on peut également dire qu’ils ne se sont pas non plus revendiqués, comme nous le disions, de la géographie. La question a ici un lien disciplinaire, au sens universitaire voire épistémologique du terme. Le fait que la genèse de la géographie comme discipline universitaire soit contemporaine de l’anarchisme, donc au milieu du xixe siècle, et qu’elle soit par ailleurs à la fois une science de la nature et une science de l’homme, aiderait-il à expliquer le motif d’une rupture académique avec la philosophie ?
CM : Académique et politique, je pense, dans la mesure où la géographie prétend quand même rendre compte d’un certain nombre de phénomènes politiques et économiques, mais avec des méthodes d’explication qui ne sont pas celles de l’histoire, et qui donc apparaissent comme non convaincantes et plus hasardeuses – d’où la subordination totale de la géographie à l’histoire qu’on a tous connue à l’école. Je me souviens que, souvent, mes enseignants disaient pour la géographie « on n’a pas le temps ». Mais je crois quand même qu’il y a aussi un autre problème. Si l’on revient à l’espace et au temps en philosophie, on trouve cette idée, chez tous les philosophes, que le temps est supérieur à l’espace ; quand on ouvre la Critique de la raison pure, tous les phénomènes sont à la fois dans le temps et dans l’espace, mais le temps est la forme de tous les phénomènes. Le sens interne est toujours supérieur au sens externe, c’est très clair. Chez Hegel, le temps est la relève dialectique de l’espace. Là, je viens de lire Le Temps qui reste, d’Agamben, où il dit que le messianisme est une transformation de l’espace en temps. Donc, il y a cette dévalorisation systématique de l’espace. Et je crois que cela, évidemment, explique la subordination de la géographie.
T : Dans votre propre philosophie aussi, non ?
CM : Tout à fait, j’en ai justement pris conscience. On peut néanmoins considérer que la plasticité, en tant qu’elle réfère au champ de la figuration, renvoie à un temps spatialisé.
II. L’art et le non-gouvernable : potentialités de l’auto-subversion ?
T : Vers la fin d’Au voleur !, vous évoquez l’engagement anarchiste des peintres néo-impressionnistes tels que Seurat ou Signac et l’articulez à la technique pointilliste de la « touche divisée ». La distribution des points, « de même taille, de même valeur vibratoire, de même franchise chromatique », manifesterait plastiquement l’irréductible égalité de chaque individu dans l’instant même où il compose une forme sociale globale. Au-delà de cette référence historique et de son analyse technique, comment pensez-vous aujourd’hui les liens entre le « non-gouvernable » et les pratiques artistiques ? N’y a-t-il pas dans l’hypothèse du « non-gouvernable » une forme de résistance au social plus féroce et plus sauvage que le seul maintien pointilliste de l’individualité ?
CM : Là, je crois qu’on touche au problème de l’anarchisme de manière générale : s’agit-il de l’individu ou du collectif ? C’est sur ce point qu’apparaît le divorce entre les deux grands courants anarchistes que sont l’anarchisme libertaire et individualiste et le communisme anarchiste. Murray Bookchin a beaucoup thématisé ce divorce. Il considère, dans Social Anarchism or Lifestyle Anarchism 5, que Foucault est du côté du maintien pointilliste de l’individualité, et lui, au contraire, défend quelque chose de beaucoup plus collectif. Alors il y a quand même deux questions. Le non-gouvernable, je l’ai défini non pas comme ingouvernable, mais comme ce qui est étranger à toute forme de gouvernement. Je pense que pour répondre à cette question, il faut absolument laisser tomber la différence entre l’individu et le collectif, qui me semble être un obstacle, un faux obstacle épistémologique, parce que du coup, ça crée de la discorde à l’intérieur de l’anarchisme. Je trouve que c’est dommage parce que je crois que les deux, le collectif et l’individuel, ne peuvent pas être séparés à ce niveau. C’est ce que disait aussi Castoriadis qui pensait qu’un individu n’est jamais un individu, qu’il y a toujours une forme de transcendance de l’individu, et qu’un collectif n’est jamais un collectif, c’est-à-dire qu’il est aussi fait de singularités. Donc je serais assez rebelle à cette distinction. Il me semble justement que les points dans le pointillisme ont cette vertu d’être à la fois des points et une figure de l’ensemble. Je ne pose pas ça en paradigme, parce qu’évidemment c’était au xixᵉ siècle, au début du xxᵉ, et que les choses ont évolué. Mais je pense qu’aujourd’hui c’est cette impossibilité de faire la différence, ou disons la scission, entre l’individu et le collectif qui peut créer un concept de non-gouvernable, dans la mesure où être étranger au gouvernement, ça veut dire à la fois résister par son individualité, mais aussi devenir imprenable en se fondant dans le collectif. Donc moi, je réfute cette distinction.
T : Vous employez le mot « illustration ». Or il me semble que c’est aussi ce qui vous agace chez Deleuze et chez d’autres, quand les philosophes prennent précisément l’art pour une illustration des théories.
CM : Je comprends bien, mais en tant que philosophes, nous voyons ça d’abord conceptuellement. Notre problème, c’est de ne pas être artiste et qu’il nous est très difficile de parler depuis ce point de vue. Quand j’ai parlé du pointillisme, c’était effectivement une manière d’illustrer, j’en ai bien conscience, mais je ne sais pas comment on peut remédier à ça. Même si, au fond, ce n’est sans doute pas le bon mot. Il s’agit moins d’une illustration que d’une forme de correspondance entre art et philosophie.
T : Pour revenir à la question sur les pratiques artistiques, on peut aussi penser l’expression artistique de l’égalité radicale à partir de l’artivisme. Je pense notamment aux rituels collectifs qu’Isa Frémeaux & Jay Jordan du Laboratoire d’Imagination Insurrectionnelle organisent au sein de la ZAD, nourris de leur expérience de communautés alternatives d’inspiration anarchiste (école anti-autoritaire, squat punk, camp climat, communauté de l’amour libre, etc.). Parce qu’il peut rendre sensible son caractère d’utopie, de surprise et d’impensable, l’art n’a-t-il pas les moyens de nous faire croire à l’anarchie ? Plus encore, l’anarchisme n’a-t-il pas besoin de l’art pour gagner en crédibilité, pour se doter du « régime de preuves 6 » dont vous remarquez qu’il est précisément privé ?
CM : Oui, c’est très intéressant. Je pense à l’expression de « politique préfiguratrice », soit l’idée, défendue par les anarchistes, selon laquelle la révolution ne doit pas être délayée, renvoyée au futur, mais accomplie au présent, dès maintenant. Cela revient à dire qu’on incarne dans le présent ce qu’on voudrait voir arriver dans l’avenir. C’est là aussi une façon de contester le marxisme : on ne croit pas au grand soir, mais plutôt à une forme de présentisme, ou d’immanentisme si on reprend leurs termes. La transcendance ne s’attend pas, on la fait advenir. On préfigure ce qui viendra, et ce, même si ça doit ne jamais venir. En ce sens, oui, je crois que l’art est une preuve de cette préfiguration. On dit souvent que c’est par le style de vie qu’on peut préfigurer le fait qu’on est anarchiste, mais incontestablement, on peut aussi penser à l’action directe, à une forme de terrorisme, comme ceux qui ont récemment détruit une statue de Netanyahou, ou encore à la vie collective et à l’artivisme. C’est une preuve essentielle, ça montre. Cela étant dit, je travaille actuellement sur un texte très intéressant d’un anarchiste israélien, Uri Gordon, pour qui le problème de préfiguration est que c’est un terme théologique qu’on trouve dans la Bible – au sens où l’Ancien Testament est une préfiguration du Nouveau Testament. La préfiguration aurait donc quelque chose de messianique. Il faudrait donc voir si dans ce présentisme, il n’y a pas aussi une forme de sacré, de religiosité. Qu’est-ce que c’est qu’une preuve politique ? Qu’est-ce qu’on prouve ? Est-ce un signe de ce qui va venir ?
On dit souvent que c’est par le style de vie qu’on peut préfigurer le fait qu’on est anarchiste, mais incontestablement, on peut aussi penser à l’action directe.
T : Ce présentisme pourrait aussi correspondre à l’ontologie de la performance, comme discipline artistique, dont Peggy Phelan dit qu’elle n’a lieu que dans le présent 7 ou Thierry de Duve qu’elle « est un art de l’ici et du maintenant, [qu’]elle implique la co-présence 8 ». Elle serait du côté de l’événement, de la présence plus que de la représentation ou de la présentification. N’est-elle pas dès lors propice à l’expression d’une esthétique anarchiste ?
CM : En ce sens peut-être, mais il me semble aussi que la performance est devenue la réponse à tout : à la question du genre comme à celle de la représentation. Il faudrait sans doute préciser ce qu’on entend par performance mais j’ai tendance à me méfier du terme parce qu’il renvoie quand même à quelque chose de l’ordre du pouvoir. Je me demande si on peut penser l’un sans l’autre. Je suis réservée parce que j’ai l’impression qu’on l’entend trop et qu’on n’arrive plus aujourd’hui à faire la différence entre performance, performativité, identité… Par exemple, quand Preciado dit que la Californie, c’est le clitoris de l’Amérique parce que c’est performant, qu’il y a une performativité de la Californie. Qu’est-ce que ça signifie sinon le pouvoir ?
T : On pourrait voir dans le tournant anarchiste de votre philosophie une rupture avec vos travaux précédents sur la plasticité, or vous contestez une telle lecture en affirmant que vous n’avez jamais cherché qu’à répondre à une seule question : comment peut-on se donner sa propre forme, sans qu’on nous l’impose, en l’absence de principe extérieur ? Dans Au voleur !, cette question trouve une réponse avec la notion de « forme de vie », que vous empruntez à Foucault, et qui désigne dans la tradition esthétique un paradigme de l’artiste moderne 9 pour qui exister c’est se créer, soit faire de sa vie une œuvre d’art. Or la lecture anarchiste que vous en proposez n’est pas sans mettre au jour un conflit entre auto-organisation (soit le sens habituel qu’on prête à la sculpture de soi) et l’absence de gouvernementalité : comment en effet peut-on être poète de son existence sans pour autant être maître de soi ?
CM : Dans le chapitre que vous évoquez, je récuse complètement le préfixe « auto- » en m’appuyant sur le fait que Foucault réfute, dans ses derniers séminaires, l’association entre le gouvernement de soi et l’autonomie (autos-nomos : se donner à soi-même sa loi). C’est ainsi que je lis la pensée des Cyniques chez Foucault : « il y a certes ces deux “moitiés” dans ce soi, mais elles ne se reflètent pas l’une l’autre. L’une des deux est un chien. Et il n’y a pas de miroitement possible entre les deux faces de cet étrange couple. […] Foucault rappelle que le cynique se masturbait en public. Il se touchait donc, mais en s’exposant ainsi, il ridiculisait le toucher de soi et par là même profanait l’auto-affection, y substituant l’indifférence. […] Il n’y a pas de vie, dit-on, sans auto-affection ni homéostasie. C’est vrai mais elles n’impliquent pas nécessairement le contact spéculaire avec soi 10. » La forme de vie est une remise en question complète du gouvernement, de la maîtrise de soi, parce que le soi se trouve détrôné de sa capacité spéculaire, donc de sa capacité d’autonomie. Il n’y a pas de soi et il ne fait pas la loi. Diogène n’est pas l’auteur de sa vie, il en est le récepteur, on pourrait dire qu’il la souffre. Tant qu’on pense en termes d’autonomie, on reste dans le vocabulaire du gouvernement, puisqu’elle signifie au sens propre « loi de soi », « gouvernement de soi ». Opposer l’autonomie à la gouvernementalité est finalement un faux dilemme parce qu’être autonome, c’est être capable de se gouverner. Tant qu’on est là-dedans, on n’est pas dans l’anarchisme. La manière dont Foucault parle de la forme de vie à propos des Cyniques tient précisément à dire l’impossibilité de cette autonomie. On ne pourrait pas dire que Diogène est un être autonome, ça n’aurait pas de sens.
T : Vous dites dans ce même chapitre qu’une vie anarchiste, c’est plutôt un partenariat de soi avec soi. Qu’entendez-vous par-là ?
CM : Si l’on peut penser une schize entre deux soi qui ne se réfléchissent pas, alors il y a forcément une logique d’entraide qui se noue entre eux. Être quelqu’un, c’est être en mutualité avec soi pour différentes raisons, parce qu’on est à la fois une âme et un corps, parce qu’on est fait de différends, de différences. Pour Foucault, c’est d’abord Platon qui a pensé que ces différences devaient nécessairement être hiérarchisées. Que l’âme devait commander à toutes les autres fonctions. Selon Foucault, on a oublié de penser une forme de vie dans laquelle les différences constitueraient une communauté et non quelque chose de l’ordre du commandement. Ce qui est anarchiste dans la forme de vie, c’est la manière dont toutes les différences qui composent collectivement un être co-existent.
T : Puisqu’on parlait de Diogène, je passe tout de suite à la question sur Diogène. Le concept de non-gouvernable que vous proposez a la capacité assez fascinante de rendre possible des rapprochements pour le moins inattendus. Ainsi, en passant d’un livre à l’autre, on se dit que Diogène le cynique rassemble bien des traits associés au clitoris dans Le plaisir effacé 11, et que réciproquement le clitoris, par la suspension du couple puissance acte qui le caractérise, par son indifférence foncière au pouvoir, par ses potentialités d’auto-subversion, a quelque chose du geste cynique dépeint par Foucault dans Le courage de la vérité. Souscririez-vous à ce portrait de Diogène en clitoris ou n’est-ce là que fantaisie d’un lecteur ?
CM : Non, c’est une très belle question. Je suis complètement d’accord. C’est-à-dire que j’ai pensé au clitoris comme l’organe du non-gouvernable inscrit dans le corps et que, à la limite, il est inscrit dans tous les corps. Mais pour répondre simplement « oui » à votre question, je pense qu’il faudrait faire un certain nombre de déplacements dans la mesure où, d’une part, Foucault n’a jamais parlé du plaisir féminin – il a quand même écrit des milliers de pages sur la sexualité, mais jamais il ne s’est posé la question de savoir ce qu’il en était du féminin – et où, d’autre part, Diogène reste quand même un modèle masculin. Foucault reste quand même extrêmement phallique dans ses descriptions. Cela fait qu’il n’est peut-être pas si anarchiste que ça. Disons, anarchéologique. Mais c’est un peu compliqué.
J’ai pensé au clitoris comme l’organe du non-gouvernable inscrit dans le corps.
T : Dans le chapitre d’Au Voleur ! consacré à Derrida, vous revenez sur la lecture d’Au-delà du principe de plaisir de Freud et suggérez, à partir des travaux de Nathalie Zaltzman, je cite, que « la pulsion de mort, contrairement à ce qu’affirme Derrida, [pourrait] préfigur[er] l’anarchie politique comme communauté déliée de son lien à la maîtrise 12. » Pourriez-vous revenir sur le lien entre cette « autre pulsion de mort » et l’idée d’une communauté sans maîtrise et sans lien ? Là encore, l’art ne préfigure-t-il pas l’espace de telle communauté ouverte au négatif de la dissolution des liens, n’esquisse-t-il pas, je cite cette fois Bataille, la « communauté de ceux qui n’ont pas de communauté » ?
CM : Zaltzman distingue entre la vision usuelle de la pulsion de mort comme pulsion de destruction et la pulsion de mort comme libération. Et pour penser cette libération, elle parle des figures de Primo Levi ou de patients qui sont atteints de traumas insurmontables, comme cette femme qui voit son enfant mourir d’une leucémie et que l’enfant refuse de voir à l’hôpital. Elle sait qu’essayer de soigner cette personne en la réintroduisant dans Eros est vain. Elle constate en tant qu’analyste qu’il y a des cas dans lesquels il est absolument impossible de promettre au patient qu’une ré-érotisation va arranger leur cas. Il faut donc faire avec l’irréparable. Et c’est là qu’elle dit qu’un certain traitement de la pulsion de mort peut être autre chose qu’une destruction, qu’il peut être une rupture avec les liens d’Eros, qu’Eros peut parfois apparaître comme plus destructeur que Thanatos, parce qu’il force le sujet à rester dans des liens qui lui pèsent en fait, qui sont impossibles à rétablir, et elle dit qu’au contraire accepter le détachement est la seule façon de soigner le patient. Pour elle, c’est la pulsion anarchiste. Elle prend comme exemple les Inuits. Dans Les Derniers rois de Thulé de Jean Malaurie, il y a cette tribu qui préfère vivre complètement à l’écart dans une région isolée, dans la glace plutôt que de descendre dans la ville parce que retrouver les liens, être domestiqué, serait pour eux plus destructeurs que rester là. Et j’ai trouvé cela extrêmement intéressant de faire apparaître Eros comme un danger potentiel. Pour moi, il n’y a rien de pire quand je vais mal que lorsqu’on me dit : « Mais sors, va voir des gens ! » L’injonction au bonheur, l’injonction au lien, quoi ! Donc effectivement, l’anarchie politique comme une communauté déliée, comme une communauté qui ne cherche pas forcément la fusion, qui ne cherche pas forcément le maillage érotique, et je trouve cela intéressant de montrer qu’Eros peut être dangereux. Quant à Bataille, pourquoi pas. Mais mon problème avec lui et tous ses lecteurs, c’est que leur modèle c’est le communisme. Et moi, ça me pose problème parce qu’ils restent attachés à cette structure-là. Pour Nancy par exemple, l’absence de communauté de la communauté reste communiste, et je ne vois pas en quoi ce genre de communauté pourrait être une déliaison. Donc oui, Bataille, mais à condition de vraiment le tirer en dehors de cette espèce d’attachement au communisme.
III. Des limites de la philosophie à la puissance de l’art ?
T : La question de l’art prend réellement forme dans votre pensée quand vous analysez le débat entre Rancière et Lyotard autour de la représentation 13, deux philosophes pour qui la question contemporaine de l’art est de savoir s’il est en charge et en capacité de mettre en forme le réel que la philosophie ne sait plus dire, après que les grands traumatismes du xxe siècle l’ont déformé ou désidéalisé. Partagez-vous ce postulat ?
CM : Je me retrouve surtout dans la position de Lyotard. Dans Le Différend, il explique en effet que la philosophie n’est pas capable d’instruire un certain nombre de questions, que le discours est impuissant à convaincre face à un négationniste pour qui les chambres à gaz n’existent pas, et que la seule chose qu’on peut lui opposer, c’est le témoignage artistique. Il a une manière de poser les limites de la philosophie qui est fascinante. C’est pour moi le seul philosophe dont on ne sait plus, à un certain point du discours, s’il parle en artiste ou en philosophe. Dans Discours, figure, un livre que j’admire profondément, discours et figure se répondent tellement qu’on ne sait plus vraiment qui parle. Il n’y a que lui, à mon avis, qui ait cette connaissance de l’art du dedans dont je parlais plus tôt.
T : La lecture comparée des théories du différend et de la mésentente chez ces deux auteurs vous conduit à penser que tous les défauts de représentation peuvent trouver dans l’art une remédiation, qu’il s’agisse de l’incapacité à dire son trauma ou de l’impossibilité à être représenté sur la scène politique. Mais peut-on si facilement assimiler tous les sans voix : le sujet traumatisé est-il assimilable au sujet subalterne ?
CM : Pour moi, les sans voix dont parle Lyotard et Rancière sont les mêmes. Rancière s’intéresse peut-être davantage aux exclus sociaux alors que chez Lyotard, les sans-voix sont plutôt ceux qui sont réduits au cri, les victimes. Mais même si les deux penseurs ne traitent pas de la même façon le fait d’être empêché de parole, concluent à une même difficulté à se faire entendre. Il s’agit toujours du trauma. Pour moi, la violence politique et la violence organique ont partie liée. Dans Les Nouveaux blessés 14, je défendais l’idée que ces derniers n’avaient pas seulement une blessure physique, mais encore sociale. Axel Honneth parle de la « souffrance de l’indéterminé 15 » à propos de celles et ceux qui ne trouvent pas leur parole. C’est ma définition du trauma, peut-être pas au sens médical du terme, mais je crois quand même que c’est ce dont il est question. D’ailleurs, le texte de Spivak sur le subalterne ((Spivak, G. C. (2009 [1985]). Les Subalternes peuvent-elles parler ? trad. Jérôme Vidal. Amsterdam. ) déroule le récit de cette femme qui ne peut pas parler parce que personne ne comprendrait sa situation et qui, au bout du compte, se suicide. Les subalternes, ce n’est pas tant, ou pas seulement, celles et ceux à qui on ne donne pas la parole, mais celles et ceux qui ne parviendraient de toute façon pas à la prendre ni à l’articuler. C’est bien la définition que Spivak donne de la « subalterne », quelqu’un qui n’a pas les mots, pas les codes, donc pas de voix. La question est de savoir ce que fait l’art de cet imprésentable ou de cet irreprésentable : pour Lyotard, une œuvre ne présente rien, parce que présentifier c’est faire exister quelque chose qui précisément ne peut pas exister, alors que Rancière, au contraire, croit dans la représentation, comme une façon de redonner présence. Pour lui, il faut montrer les choses, donner à voir ceux qui ne « comptent » pas. Aussi, qu’est-ce que c’est qu’une œuvre ? Est-ce quelque chose qui présente ? Ou est-ce que c’est quelque chose qui imprésente ? C’est ça en fait la vraie discussion entre Lyotard et Rancière.
T : La marche comme rapport au temps et à l’espace est associée au cheminement de la pensée. On sait que les philosophes ont en revanche un rapport à la marche très ancien : des Péripatéticiens à Rousseau, en passant par Kierkegaard, Nietzsche, Benjamin, on connaît assez bien, avant celle de l’artiste, la figure du philosophe comme marcheur. Cette figure draine avec elle l’image du nomadisme qui interdirait à la pensée de se réfugier dans les dogmatismes ; une sorte de décentrement du sujet. Si les relations entre philosophie et anarchisme ne vont pas de soi, la relation avec la marche, elle, est presque consubstantielle à la philosophie. Est-ce que dans cette figure du marcheur, on ne trouverait pas quelque chose qui pourrait rapprocher les philosophes et les géographes ?
CM : C’est une très belle question, mais j’ai un peu la même réserve qu’avec la question précédente sur la performance, parce que la marche en philosophie est aussi quelque chose qui a été très déconstruit dans la mesure où elle correspond à l’autonomie, à la droiture, à la position debout. Chez Kant, quand on est majeur, on marche sans béquille, quand on sait marcher, c’est qu’on est autonome, à la différence de l’enfant qui a besoin de marcher à quatre pattes ou de l’infirme qui marche avec des béquilles. Qu’est-ce que la marche ? Est-ce que c’est une manière de conquérir l’espace ou de se conquérir soi ? Derrida a déconstruit, sous le terme de « phallogocentrisme », cette idée de rectitude comme preuve de la maturité de l’homme. J’ai l’impression néanmoins que c’est une forme de marche différente de celle d’Élisée Reclus, parce qu’il me semble que chez les anarchistes, la marche n’est pas une conquête, ni une preuve de maturité. C’est une marche plus proche des lignes d’erre de Deligny, une marche d’errance.
T : C’est une bonne entrée parce que parmi les philosophes disons « marcheurs », tout comme nous parlons également des artistes marcheurs, il y a aussi tous ceux que nous n’avons pas cités ici et qui sont ceux de l’exil (Benjamin, Kracauer…), chez qui la marche – qui n’est pas toujours celle de la contemplation du paysage mais aussi la marche forcée, douloureuse, de l’exil – est aussi un lieu de théorisation.
CM : Oui, il faudrait donc faire une typologie. Dès les philosophes grecs, la marche est considérée comme la marque de l’homme, elle est rapportée à la bipédie. Marcher, c’est la supériorité de l’être humain par rapport aux animaux, dont on ne dirait pas qu’ils marchent.
T : Au-delà de cette figure de l’horizontalité, les liens étroits qui unissent la marche, la carte, l’art et l’anarchisme sont ceux de la pratique et de la connaissance de soi. Dans l’ensemble de ses écrits, la question du dire-vrai obsède Élisée Reclus, qui par ailleurs détestait les cartes parce qu’elles sont pour lui nécessairement mensongères, car liées à une projection perspectiviste déformante. Ses écrits sur la cartographie sont tous anti-cartographiques. Précurseur de la contestation du capitalisme, féministe, végétarien, actif sur la question de la propriété, de la protection des espaces sauvages, de la théorie de l’entraide mais, avant tout, de l’équilibre et la recherche de soi, il vit parce qu’il agit, selon ses propres mots. On pense bien sûr ici au dernier Foucault qui se demande à quelles conditions la philosophie peut devenir autre chose qu’un simple discours, comment elle peut devenir une activité « réelle dans le réel ». Mais, si, comme vous le dites dans la conclusion de Au voleur ! en insistant sur l’impossibilité de l’« être anarchiste », la philosophie a manqué sa critique de la domination, est-il encore pensable que la philosophie puisse un jour concilier le dit et le dire ? Une phrase reclusienne telle que « La théorie de la marche, c’est de marcher. La théorie de la bonté, c’est d’être bon » est-elle seulement philosophiquement pensable ou est-elle vouée aux limbes de la pseudo-naïveté longtemps attribuée aux géographes anarchistes ?
CM : J’ai un problème qui est que pour moi la philosophie n’a pas de limites. Tout le monde dit toujours que les limites de la philosophie, c’est la fin de la métaphysique. Aux États-Unis, on me demande pourquoi je ne me situe pas dans la théorie critique, mais dans la philosophie, qui pour eux relève de la pensée analytique. C’est peut-être idiot de dire ça, mais je crois que la philosophie est plastique et qu’en travaillant, elle peut aller au-delà d’elle-même. Bien sûr que dans Au voleur !, j’ai montré qu’il y avait une limite de l’ordre du politique à la philosophie, soit son incapacité à penser le non-gouvernable, sa tendance à toujours s’abriter derrière le gouvernement. La philosophie, c’est le fantasme de la maîtrise et du maître. Mais je pense que ça peut être fluidifié. Je sais que c’est ridicule, mais je le dis : j’ai une confiance absolue dans la philosophie. La philosophie est pleine de fixités, c’est pour ça qu’il faut constamment travailler et modeler, apporter des corrections, constamment être en guerre avec. C’est ça être philosophe. Je suis incapable de faire autre chose que ça. Donc je ne peux pas répondre vraiment, parce que c’est ma vie. Maintenant, est-ce que on pourra un jour concilier le dit et le dire ? Il y a eu plusieurs réponses à ça. Par exemple, si on pense à Levinas, qui a un problème pire encore que le nôtre, qui ne tient pas seulement au fait que la philosophie n’a pas pensé la géographie, ni l’anarchisme, c’est qu’elle n’a pas non plus pensé l’éthique. La philosophie est un culte de l’être et du moi qui n’a jamais fait droit à l’autre. Alors je ne sais pas si, pour lui ça s’appelle encore philosophie, mais enfin, c’est quand même très philosophique. Un jour, le dit et le dire vont coïncider. Il emploie ces mots-là : le « dire » et le « dit » dans Totalité et Infini. Cette démarche éthique qui a été de remettre la philosophie sur ses pieds en disant que la vraie question n’est pas celle de l’être mais celle de l’Autre, que ça suffit de fermer les yeux sur la Shoah, c’était quand même bien pour chercher une forme de disons… peut-être pas de coïncidence mais de miroitement ou de correspondance, comme on disait tout l’heure, entre le dit et le dire. Il y a quand même pas mal de choses qui se sont passées ces dix dernières années qui nous permettraient aussi de dire que ça bouge quand même beaucoup en philosophie. Je veux dire, depuis Heidegger, il s’est passé des choses quand même, non ? Sur l’éthique, sur le féminisme, sur les genres, sur l’écologie… La philosophie n’est pas restée enfermée dans le canon de la tradition.
T : Pourtant vous défendez la philosophie transcendantale et Kant qui est bien l’un de ceux qui a le plus limité la philosophie, c’est tout de même ce qu’il entend par « critique », soit dire que la raison ne peut pas tout, c’est dire que ce qui nous limite, c’est aussi notre corps.
CM : Kant fait la distinction entre les bornes et les limites. Les bornes sont infranchissables, mais les limites mettent en correspondance avec ce qu’il y a de l’autre côté, au-delà d’elles-mêmes. La limite, chez Kant, est plastique. Et puis que la raison ait des limites ne veut pas dire que la philosophie soit limitée parce qu’au fond, la critique, c’est ce qui engage la philosophie vers un nouveau moment historique. Je vois plus la limite comme une ouverture que comme une clôture.
Références
Bookchin, M. (1995). Social Anarchism and Lifestyle Anarchism: An Unbridgeable Chasm. AK Press. [(2019), trad. fr., Changer sa vie sans changer le monde. Agone].
Bourriaud N. (2009). Formes de vie. L’art moderne et l’invention de soi. Denoël.
De Duve T. (1987). « Performance ici et maintenant : l’art minimal, un plaidoyer pour un nouveau théâtre ». Essais datés I. 1974-1986. Éditions de la Différence.
Honneth, A. (2008). Les pathologies de la liberté. Une réactualisation de la philosophie du droit de Hegel. trad. de l’allemand par F. Fischbach. La Découverte.
Lacoste, Y. (2014). La Géographie, ça sert d’abord à faire la guerre. La Découverte.
Malabou, C. (2017). Les Nouveaux blessés. De Freud à la neurologie, penser les traumatismes contemporains. PUF.
Malabou, C. (2020). Le plaisir effacé. Clitoris et pensée. Rivages.
Malabou, C. (2022). Au voleur ! Anarchisme et philosophie. PUF.
Malabou, C. (2022a). « Quand on n’a que le discours. Réflexions sur la forme ». Mln. N° 137. Johns Hopkins University Press.
Malaurie, J. (1955). Les derniers rois de Thulé. « Terre Humaine ». Plon
Phelan, P. (1993). « The Ontology of Performance: Representation Without Reproduction ». Unmarked. The Politics of Performance. Ch. 7. Routledge.
Proudhon, P-J. (2024 [1840]). Qu’est-ce que la propriété ? Payot.
Reclus, É. (2005 [1881]). Histoire d’un ruisseau. Babel.
Spivak, G. C. (2009 [1985]). Les Subalternes peuvent-elles parler ? trad. Jérôme Vidal. Amsterdam.
- Malabou, C. (2022). Au voleur ! Anarchisme et philosophie, PUF. [Retour au texte]
- Lacoste, Y. (2014). La Géographie, ça sert d’abord à faire la guerre. La Découverte. [Retour au texte]
- Proudhon, P-J. (2024 [1840]). Qu’est-ce que la propriété ? Payot. [Retour au texte]
- Reclus, É. (2005 [1881]), Histoire d’un ruisseau, Babel. [Retour au texte]
- Bookchin, M. (1995). Social Anarchism and Lifestyle Anarchism: An Unbridgeable Chasm, AK Press [(2019), trad. fr., Changer sa vie sans changer le monde. Agone] [Retour au texte]
- Malabou, C. (2022, p. 373-375). [Retour au texte]
- Phelan P. (1993). « The Ontology of Performance: Representation Without Reproduction », in Unmarked. The Politics of Performance, ch. 7, Routledge, p. 146-166. [Retour au texte]
- De Duve, T. (1987). « Performance ici et maintenant : l’art minimal, un plaidoyer pour un nouveau théâtre », Essais datés I. 1974-1986, Éditions de la Différence, p. 160. [Retour au texte]
- Voir sur ce point Bourriaud, N. (2009). Formes de vie. L’art moderne et l’invention de soi. Denoël. Il est d’ailleurs frappant que tous les artistes d’avant-garde qu’il cite aient un lien à l’anarchisme (Baudelaire, les Décadents, Dada, Fluxus, Raymond. Guy Debord…). [Retour au texte]
- Malabou, C. (2022). [Retour au texte]
- Malabou, C. (2020), Le plaisir effacé. Clitoris et pensée, Rivages. [Retour au texte]
- Malabou, C. (2022, p. 192). [Retour au texte]
- Voir par exemple Catherine Malabou, « Quand on n’a que le discours. Réflexions sur la forme » (2022) in Mln, n° 137, Johns Hopkins University Press, p. 637-645. [Retour au texte]
- Malabou, C. (2017). Les Nouveaux blessés. De Freud à la neurologie, penser les traumatismes contemporains. PUF. [Retour au texte]
- On retrouve ce thème développé dans Les pathologies de la liberté. Une réactualisation de la philosophie du droit de Hegel (trad. F. Fischbach, Paris, La Découverte, 2008). [Retour au texte]