Anti-manuel de perreo par une universitaire-reggaetonera bien excitée

Au temps de la globalisation 2.0 du perreo et de l’explosion de mouvements et de documents audio-visuels, les mémoires de cette danse aux influences afro-latino-caribéennes continuent d’être marginalisées. Simultanément, sur les réseaux sociaux, dans des fêtes, des nombreuses critiques s’opposent, en mots, en gestes et en images. Ce paradoxe entre effacement et prolifération façonne le régime impérial des archives de danse et situe l’histoire du perreo dans le prolongement de « l’abandon historiographique » (Guarato, 2019) et de la marchandisation des danses latino-américaines.  L’anti-manuel diffusé ici a pour objectif d’amplifier les résistances chorégraphico-documentaires à l’oubli comme au devenir chose des danses populaires.

Emma Gioia (1990) est chorégraphe et docteure en Pratique et théorie de la création artistique et littéraire (Aix-Marseille Université), de nationalité française et argentine, basée en France. Elle est diplômée de l’école de chorégraphie et performance SNDO (School for New Dance Development, Amsterdam) et titulaire d’un master d’histoire contemporaine (Sciences-po Paris). Ses travaux sont autant d’interventions expérimentales entre danses, improvisations, activismes et histoires. Elle est membre du collectif de danse et performance Les Joueur·ses, collabore régulièrement avec d’autres artistes – récemment avec le chorégraphe Arkadi Zaides et le réalisateur Paul Heintz – et transmet des théories et des pratiques dansées auprès de publics variés (Sorbonne Nouvelle, MJC etc.).

Pour citer cet article : Emma Gioia, « Anti-manuel de perreo par une universitaire-reggaetonera bien excitée », publié le 7 avril 2025, Revue Turbulences #02 | 2025, en ligne, URL : https://turbulences-revue.univ-amu.fr/emma-gioia-anti-manuel-de-perreo-par-une-universitaire-reggaetonera-bien-excitee, dernière consultation le 15 mai 2025.

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Bonjour, comment tu te sens en ce moment ? Comment vont tes corps ? De quelles couleurs sont tes mouvements ? Par où passent tes pensées ? Je suis Emma Gioia, docteure en recherche-création, reggaetonera-universitaire et chorégraphe blanche. Moitié française, moitié argentine, et d’autres moitiés (!). Actuellement, je vis et je travaille en France, cette petite contrée hexagonale qui a joué (et continue de jouer) un rôle clé dans la fabrication de la passion latino-américaine (Jacotot, 2013 ; Savigliano, 1995). Je m’agite à l’université, pour que le perreo – ou danse reggaetón – soit reconnu comme central dans l’histoire récente des désobéissances dansées. Et je prends donc délibérément le risque de produire une archive de danse inerte et de contribuer à la transformation de cette danse chienne 1 en un objet académique. Après avoir pesé le pour et le contre, j’ai opté pour ce choix : quitte à échouer dans cette difficile entreprise épistémologique décoloniale, je préfère pour le moins avoir tenté de lutter contre son effacement aussi paradoxal que généralisé. Dans ce dessein, après t’avoir brièvement exposé mes principales pistes théorico-pratiques, je dégaine un anti-manuel de perreo bilingue, para leer (pour lire) y jugar (et jouer) y para bailar reggaetón estés donde estés (et pour danser le reggaetón où que tu sois).

I. Introduction critique : pour des archives communes de perreo

Voilà plusieurs décennies que le perreo soutient le succès bombe de la musique reggaetón 2 tout en étant continuellement délégitimé. Alors que ses secousses pelviennes et ses ondulations empuissançantes la relie à de nombreuses autres danses transcarribéennes profanes et sacrées, anciennes et contemporaines (Daniel, 2011), cette danse festive, initialement célébrée par des danseur·euses afrolatinxs des Caraïbes hispanophones, s’est massivement exportée dans toute l’Abya Yala 3 avant d’emprunter les routes de la diaspora latina aux États-Unis et bien au-delà. Au temps de sa diffusion globale 2.0, les frottements et les corps-à-corps du perreo inspirent des communautés latinxs et non-latinxs grandissantes : « ahora todos quieren ser latino’, no, ey 4 » (« maintenant ils veulent tous être  »latino », non, hé »), chantait l’ironique et fier Bad Bunny en 2022, et probablement alors, le plus en colère des n°1 sur la plateforme Spotify. Tant et si bien que l’on peut désormais cogner l’os (chocar el hueso), casser l’estrade (romper la tarima) et descendre jusqu’aux ténèbres (bajar hasta el inframundo) 5 en d’innombrables contextes, et jusqu’en France, où l’offre des fêtes et des cours de reggaetón augmente depuis les années 2010. Désormais, les vibrations intenses du perreo incorporent les infinis répertoires de danseur·euses amateur·ices ou profesionnel·les venu·es des milieux sociaux les plus divers. Qu’elles soient improvisées et/ou codifiées chaque jour et chaque nuit dans des clubs, des maisons, des espaces publics, des académies, sur les réseaux sociaux 6, ses palpitations excessives génèrent alternativement des explosions émancipatrices – qui débordent, transgressent, suent – ou des divertissements standardisés – qui renforcent les normes et les binarismes prévalant.

Ses palpitations excessives génèrent alternativement des explosions émancipatrices – qui débordent, transgressent, suent – ou des divertissements standardisés – qui renforcent les normes et les binarismes prévalant.

Extrêmement peu étudiées 7, tour à tour conspuées et adulées 8, ces incessantes transformations chorégraphiques des danses reggaetón prolongent la longue histoire de la marchandisation et de « l’abandon historiographique » (Guarato, 2019) des danses latino-américaines abjectes, largement répandues et exclues de l’histoire de la danse. Et de l’histoire de tout court. D’une part, en effet, cette invisibilisation accompagne « la circulation néolibérale irrégulée » (DeFrantz, 2012) de mouvements dansés qui prolifèrent sans lien avec leurs circonstances historiques, sans cesse relocalisés et dilués dans « leurs capacités à fonctionner comme des résistances créatives aux hégémonies mainstream » (DeFrantz, 2012, p. 135). D’autre part, cette marginalisation systématique est également caractéristique des pratiques de « citoyenneté par le bas » (Sheller, 2012). Soit tout autant d’oppositions subalternes incarnées aux oppressions blanches, bourgeoises et hétéro-patriarcales et de puissances d’agir érotiques caribéennes, transmises de générations et en générations, à rebours des conceptions légales et morales dominantes de la décence et de l’activisme.

Entre prolifération mainstream et abandon historiographique systématique, se manifesterait ce que j’appelle le régime impérial des archives de danse, à partir des travaux d’Ariella Aïcha Azoulay. Pour cette philosophe, « le régime impérial des archives » s’organise à partir de la modernité coloniale, au travers de circulations massives de gestes, de documents et d’objets et en opérant une triple séparation temporelle, géographique et politique, entre le présent et le passé, le centre et de la périphérie, les citoyen·nes et les non-citoyen·nes (Azoulay, 2019). Au sein de ce régime, l’archive doit être comprise comme une somme de pratiques neutralisantes qui légitiment la violence coloniale et l’appropriation culturelle et fondent nos conceptions linéaires de l’art, de l’histoire et du savoir. De ce fait, ce régime régulerait aussi spécifiquement jusqu’à nos jours, les actes de transferts matériels et immatériels de toutes sortes de danses et hiérarchiserait leurs devenirs historiographiques, selon des critères de race, de genre et de classe : depuis des danses scéniques, transmises oralement ou à l’aide d’archives documentaires, pouvant être protégées par le droit d’auteur, et préservées par l’histoire jusqu’à des danses populaires inondant les corporéités et les supports audio-visuels de générations entières, parfois censurées sinon discréditées, et souvent massivement appropriées tout en étant écartées de l’histoire et des archives institutionnelles.

Simultanément, parce que « la condition humaine […] est à la fois l’objet des assauts de l’impérialisme et le berceau de résistances à l’impérialisme » (Azoulay, 2019, p. 31), des contestations s’élèvent et écrivent des « histoires potentielles » et des « archives communes » qui rembobinent le régime impérial des archives en inventant des réparations possibles. Spécifiquement, l’histoire des circulations des danses populaires est constamment rythmée par des résistances incarnées et/ou documentaires, où des mêmes gestes peuvent être utilisés pour renforcer mais aussi pour s’opposer à une marchandisation généralisée (Foster, 2019 ; Kraut, 2016 ; DeFrantz, 2012) : ainsi, partout et tout le temps, des reggaetonerxs refusent en groupe ou isolément, avec des mots, des gestes et des images, le devenir chose de leurs danses. Sur internet, iels rédigent des commentaires révoltés, partagent des mémoires transatlantiques et publient des tutoriels dissidents (Gioia, 2024). Au beau milieu de fêtes  »latino » en France, lors de fiestas plus intimes ou clandestines, lors de manifestations, iels déploient des danses-maisons diasporiques et des explosions fières et érotiques 9 qui convoquent des répertoires transgénérationnels et se jouent des stéréotypes tenaces. Ces résistances fugitives, ces entraînements revigorants fabriquent ainsi des transmissions critiques qu’il est urgent d’apprendre à relayer et à augmenter. À condition qu’on rende compte de leurs ambiguïtés et des rapports de force en présence (qui danse, qui regarde, qui filme etc.), ces résistances sont en effet susceptibles de réécrire, à chaque nouveau document, à chaque nouveau geste, à chaque nouvelle fessée, les histoires passées et futures du perreo.

Dès lors, l’anti-manuel de perreo que je diffuse ci-dessous (d’abord en espagnol puis en français) vise à participer de ces résistances choréographico-documentaires à l’ère du reggaetón global 2.0. En même temps, il résulte d’une transcription de la performance Dale Duro ! para bailar reggaetón estés donde estés 10 (Vas-y donne tout pour danser le reggaetón où que tu sois). Les jeux qu’il propose ont été expérimentés en collaboration avec les artistes Olga Pérez Sanchez (PuertoRico/Cuba), Caterina Mora (Argentina/Chile) et Stef Assandri (Uruguay), alors qu’on se retrouvait ponctuellement entre ami·es et qu’on tentait de réactiver nos danses reggaetón dans des studios de danse en France. Pour éprouver nos états de corps festifs, nos improvisations délicieuses, pour réchauffer ces environnements vides et habités par l’énergie productiviste du devenir spectacle, il a fallu essayer et essayer encore. Sonder les imaginaires et les territoires de nos gestes-empreintes grâce à toutes sortes de récits et d’expériences somatiques, confronter nos sensualités à une infinité possible de voyeurismes, laisser l’infra-ordinaire s’immiscer dans nos répétitions… Au fur et à mesure, on a développé des tactiques obliques partageables simultanément avec des publics en studios et en streaming. Ainsi, à chaque présentation, cette répétition-slash-anti-tutoriel de reggaetón, ¡Dale Duro! para bailar reggaetón estés donde estés (Vas-y donne tout ! pour danser le reggaetón où que tu sois), fabrique une nouvelle an·archive numérique de danse : où l’important, c’est de transmettre à d’autres reggaetonerxs compulsif·ves des entraînements ouverts pour retrouver ensemble les désordres de nos plaisirs-colères.

Revue Turbulences Emma Gioia Anti manuel 01

Revue Turbulences Emma Gioia Anti manuel 02

Revue Turbulences Emma Gioia Anti manuel 03

Revue Turbulences Emma Gioia Anti manuel 04

Images de répétitions de ¡Dale Duro! . Crédits photogramme vidéo n°1 © Jean Hubert, crédit photogrammes vidéo n° 2 et 3 © Tomè Manon Cotte, crédit photo n°4 © Vincent Trouillard.

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II. Anti-manual de perreo

Quizás te fuiste de tu casa, quizás nunca, quizás ya volviste, quizás te olvidaste, no importa, si en algún momento te despertaste pensando, « hoy sí o sí, ya es asunto, necesito calentar los motores » este anti-manual es para ti : para que los uses como mejor te parezca, y tal vez para reencontrarte con el inframundo. Y romper la tarima. Estés donde estés. Solx o con amigxs.

Para avisarte: los juegos que siguen, al ser inventados desde el placer de moverse con ritmos amados y extrañados, pueden traer recuerdos y sensaciones nostálgicas o dolorosas. En todos casos, siéntete muy libre de no hacer, adaptar, cambiar, o interrumpir algunos de ellos. Y obviamente, de probarlos en en el desorden. Y desde ya, te paso esta playlist 11, compuesta en gran parte por DJ Kayaté, quien tocó en el Perreo Combativo frente a la catedral de San Juan, Puerto Rico, en Julio de 2019. Ya la puedes lanzar, e ir viendo los volumenes según lo sientas. Nosotrxs a menudo empezamos con la música bajta, y vamos subiendo de a poco.

Última cosa : para jugar, precisas algunos accesorios. Ante todo, un espacio, sea chiquito, que puede ser adentro o a fuera. Y un sistema de sonido. Tambien, si puedes, tráete unas ropas cómodas, y si te gusta como te quedan, mucho mejor. Para lxs más ambiociosxs, papel, birome y una computadora con aceso a internet, siempre vienen bien. ¡Y ahora sí, A SOLTAR !

Juego 1 (puede servir – o no – para transformar las iras y las penas)

¿Qué es lo que tu cuerpo está necesitando ahora ? Asegúrate de elegir un espacio propio, sea chico o grande, y tómate un tiempo (el tiempo necesario) para escuchar lo que tu cuerpo te está pidiendo ahora. Acaso sea acostarte, relajarte, descansar, o al contrario, acelerar, estirarte, ejercitarte… u otras cosas. En todo caso déjate llevar por lo que tu cuerpo te está pidiendo. Mientras tanto, y sin cambiar lo que estás haciendo, estas son algunas preguntas que te puedes hacer a ti mismx : ¿Cómo y dónde estás con tu cuerpo y tu mente ? Durante todo el juego, no te olvides de respirar profundamente.

Juego 2  (puede servir – o no – para reencantar el espacio)

Experimentar tocar y ser tocadx. Puedes tomar ahora una posición confortable (sentadx o acostadx) y cerrar los ojos. Dejándote sostener, intenta entregar tu peso a la gravedad. Desde ahí, vas a empezar a explorar cómo tu cuerpo se modifica al sentir los demás cuerpos y/o los demás objetos. Al principio, puedes permanecer inmóvil, y prestar atención a los micro-movimientos que nos habitan. Tu piel es el órgano más pesado de todos. Está compuesta de una infinidad de agujeros que transmiten informaciones hacia adentro y hacia afuera. Concéntrate un rato, en distintas partes de tu cuerpo en contacto con materiales duros como objetos, paredes, pisos, mesas, o blandos, como el aire, o durxs y blandxs como lxs cuerpxs de tus amigxs. ¿Qué sientes al tocar esos materiales alrededor tuyo? ¿Cómo te afectan las formas, las temperaturas, las texturas? ¿Cuál es la diferencia de sensación, entre la piel de tu rostro que acaricia el aire, y la piel de tu talón reposando sobre la madera? ¿Entre las zonas de tu piel desnuda y las zonas cubiertas por ropas? ¿Cuántas sensaciones a la vez puedes recibir? También sientes que dentro de tu cuerpx, tus órganos, tus músculos, tus huesos, tus líquidos, se tocan entre sí, y te tocan, y tocan y están tocados por el espacio.

Y ahora concéntrate en el tocar. Se trata no solamente de recibir informaciones del espacio sino de ir colectándolas. Imagina que todo tu cuerpo es una mano que busca leer el espacio, sus objetos y sus cuerpxs, tocándolxs, acariciándolxs, empujándolxs, agarrándolxs. De a poco, puedes empezar a moverte, siempre desde el tocar, desde la experimentación táctil del espacio. No te olvides de las zonas periféricas. Puedes ir tocando con todas tus partes. Ya cuando estés a gusto en ese rol activo, puedes ir intercambiando, entre moverte y no moverte, tocar y ser tocadx, entrando de a poco en un mundo de sensaciones continuas. Acaso podemos estar saboreando con la piel, y dejar que el espacio nos saboree desde sus pieles múltiples.

Otra versión de este ejercicio. Mientras experimentas los movimientos y las sensaciones que provocan el tocar y ser tocadx, vas hablando en voz alta, sin parar, durante por lo menos tres minutos (puedes usar una alarma), contestando a esta pregunta: ¿Cómo y dónde estás con tu cuerpo y mente? Si estas haciendo el ejercicio con amigxs, pueden ir cambiando turno, hablando en voz alta mientras lxs demás son testigxs, reciben las palabras sin comentar, y continúan con sus propias experimentaciones.

Juego 3 (puede servir – o no – para entrar en calor)

La danza del recuerdo Según como te sientas, este ejercicio puede hacerse con o sin música. O primero con y después sin. O alternando. Con la práctica, irás decidiendo con más claridad lo que te hace falta.

Con música. Elige en la playlist un tema importante, uno que te encanta. Si no lo encuentras en la playlist, puedes buscarlo. Sin pensarlo, bailalo entero, como sea, como te viene. Después de una pequeña pausa, vuelve a bailar el mismo tema, tratando de reencontrar esos movimientos que siempre haces. Ya en tus archivos personales. ¿Qué parte del cuerpo los inicia? ¿Cómo son? ¿Qué tipo de emociones y de sensaciones conllevan? ¿Podrías identificarlos? ¿Explicarlos? En todo caso, baila nuevamente el tema, todas las veces que sean necesarias para identificar algunos gestos de tu repertorio reggaetonero. Ten en cuenta que los gestos son formas abiertas que van cambiando, y que este juego tanto como tu repertorio son infinitos, modelados por nuestras historias de vida y siempre están renovándose.

Sin música. Esta vez, la danza del recuerdo se hace buscando palpar las huellas de los gestos y ritmos que siempre vuelven. En silencio, intenta bailar temas que te gusten, cantándolos  interiormente, o muy bajito, hasta reencontrarte con trozos de canciones y con algunos de tus movimientos. Para apoyarte en el ritmo, también puedes ir chasqueando dedos, lengua, o marcando  pies. Si estás improvisando con amigxs, también puedes intentar relacionarte con los ritmos de los demás sin perder el hilo de tus propios recuerdos. E ir dejando tus memorias fluir, ir conectando distintos estribillos, distintas melodías, distintas letras. ¿Cómo te sientes bailando recuerdos? ¿Te es fácil o difícil? ¿Extrañas la música?  Si puedes, insiste en el experimento, bailando y explorando la vastedad de tus recuerdos pegadizos.

Nombrar. Ahora te toca volver a tu repertorio, y empezar a nombrar algunos de tus gestos. Los nombres pueden referirse a la historia de la danza, o pueden ser mucho más personales. Estos son algunos nombres de gestos que inventamos : Pulpo Tejido, Salsa Chiquita, Salpicado, Video-clip, Zapateo etc. Lo más importante es que el nombre te parezca sencillo y pueda relacionarse claramente (para ti) con uno de tus gestos. Al jugar a este juego en grupo, seguramente se intercambiarán nombres de gestos, y se darán cuenta de que algunos gestos son muy propios de unxs y que otros son claramente communes.

Juego 4 (puede servir – o no – para burlar las miradas hetero-coloniales y reencontrarte con tu actitud)

Imaginar miradas. Versión solitaria. Deja la playlist al azar, elige entre dos y cuatro movimientos de tu repertorio reggaetonero (los que identificaste con el juego previo), y ve bailándolos mientras imaginas miradas distintas viéndote. Con la práctica irás determinando con que miradas te interesa interactuar. Para que no sea tan difícil, uno puede decidir jugar con una, dos, o tres miradas, sucesivas o simultáneas. Las miradas pueden ser variopintas : miradas de gente que conoces, miradas de gente que quieres, gente que odias, miradas de gente viva, de gente fallecida, de fantasmas, de gente ficticia, miradas de cantantes, de gente famosa, miradas de un público masivo, miradas lejanas o cercanas, miradas animales, miradas tecnológicas (como las miradas de las cámaras, de gente viéndote por internet) etc. También pueden ser miradas ciegas, meras presencias.  Bailando por ellas, o en contra de ellas, tratando de impresionarlas, de seducirlas, de burlarlas, de escandalizarlas, de ignorarlas, vas observando como influyen en tus gestos.  Acaso, los cambiarás, los exagerarás, los disminuirás, los adaptarás… Todo puede ser.

Versión grupal. Esta versión se parece a la versión solitaria, salvo que, se definen roles. Unx va bailando, mientras lxs demás miran, agregando sus miradas reales a las miradas imaginarias del bailarínx. Lxs que miran, pueden cambiar de posición (sentarse, pararse, desplazarse en el espacio). Al terminar una canción, lxs que miran pueden compartir lo que vieron, y lxs que bailan, pueden compartir lo que hicieron, lo que sintieron, y las miradas con las que decidieron jugar.

Juego 5 (pueder servir – o no – para volverse estrella fugaz a pesar de todo)

Ser la canción  Elige una canción muy muy amada. Escúchala una primera vez, sentadx, acostadx y/o moviéndote como viene, intentando sobre todo afinar el oído para detectar intrumentos, tonos, timbres, cadencias, texturas, acentos, voces, letras, superposiciones, encuentros.  Se trata de amigarse con las capas que uno va percibiendo.

A partir de ahí, selecciona dos, o tres gestos dentro de tu repertorio. Al poner play de vuelta, no dudes en subir el volumen. Improvisando desde tu repertorio, te toca esta vez ser la canción : dándole todo, desde el inicio hasta el final. Es decir, apoyándote en tus archivos y en algunas zonas sonoras de la canción, intentas, al bailarla, transformarte en un intrumento más. Lo importante, es quedarse con esos gestos durante toda la canción, y experimentar que no son formas fijas sino al contrario formas-fuerzas abiertas, que cambian, se adaptan, se modulan, y tal vez se entrecruzan.

Te doy un ejemplo : pongo la canción Yo perreo sola, de Bad Bunny. Escuchándola por primera vez, noto la introducción y sus efectos circulares, metálicos, noto el dembow electrónico que sirve de base a todo el tema, noto las dos voces, una voz aguda, antes del estribillo, que casi habla (« Antes tu me pichabas, ahora yo picheo… ») y después la voz muy grave de Bad Bunny. Y noto muchas más cosas. Después, elijo dentro de mi propio repertorio de gestos, una ondulación-cascada, unos brazos flamencos y unas vibraciones de caderas. A partir de ahí, hago una primera improvisación. Tal vez empezando con los brazos flamencos, que marcan los tiempos fuertes, y que dibujan, arriba de mi cabeza, alrededor de mi torso, o cerca de mis pies, unas curvas que voy desplazando, moviéndome en el espacio. En algún momento, agrego las caderas, que empiezan a vibrar, primero lentamente, luego más rápido, siempre recibiendo la canción. Cuando llega el estribillo, tal vez deje de repente todo lo que estaba haciendo y empiece a ondular, primero parada, y por qué no después acostada y ya rodando en el piso. Todo esto, sabiendo que excepto los archivos cambiantes que tengo y con los cuales voy interpretando la canción, el resto es pura decisión del momento, intuición del instante, y apertura sensitiva máxima. Desde ahí, al volverse instrumento dancístico – un intrumento orgánico capaz de sumarse a una banda e interpretar todos los demás intrumentos a la vez – unx se va dando cuenta de que no sólo las materias del espacio se mueven y nos con·mueven sino que a veces nos olvidamos de que vivimos en laberintos sinestéticos. Y de que el sonido también es materia que nos toca, y nuestrxs cuerpxs son meros ritmos, compuestos por los mismos elementos que las estrellas.

Al final de la improvisación, uno puede ir acordándose de lo que hizo, cuando se sintió intrumento del todo y/o cuando estaba un poco desafinado. Si estás con amigxs, ellxs te pueden mirar, y comentar lo que vieron. También pueden ensayar ser la canción colectivamente. Improvisándola en todxs y/o decidiendo en conjunto qué archivos van a usar, qué partes de la canción van a interpretar. Tal vez tengas ganas de empezar de vuelta inmediatamente. Con los mismos gestos, o con otros, con la misma canción o con otra.  Dejar que las canciones entren y salgan desde todos nuestros agujeros. Y dejar que, como lo dijo Residente, nuestra área abdominal explote, como fiesta patronal.

Juego 6 (puede servir – o no – para rebobinar memorias singulares y colectivas del perreo)

¿Cuáles son las historias de tus gestos? Para este juego, sirve mucho procurarse papel y birome. También aconsejo mantener la música bajita. Esta vez se trata de remontar el tiempo de tus gestos, usando tus propias memorias. Y de investigar, esta vez, no solamente los potenciales  espaciales de tus gestos (como en el juego 5) sino también  sus espesores históricos.

La primera etapa consiste en una suerte de auto-entrevista bailada. Funciona así : elige un gesto de tu repertorio. Empieza a improvisarlo. Cuando lo sientas fluir, deja que tu voz cuente todas las asociaciones libres que quieras pronunciar. Fragmentos de frases o puros sonidos, melodías, onomatopeyas y palabras inexistentes. Intenta seguir hasta sentir como tu gesto impacta tu voz, y al revés. Puedes ir por caminos sensoriales, por caminos mnemónicos y/o caminos ficticios. Todos esos caminos forman parte de las historias pasadas, presentes y futuras de tus gestos. Probablemente, te encontrarás con sensaciones físicas, con recuerdos, lugares, gente, situaciones, roles que inspiran tu gesto. Y probablemente tu gesto se transformará (tal vez hasta que tengas que nombrarlo de nuevo). De vez en cuando, date tiempo para hacer una pausa, y anotar palabras, imágenes, figuras que surgen.

La segunda etapa es más performativa. La idea es reactivar las historias. Habiendo seleccionado unos cuantos elementos notables de tu auto-entrevista, vas a intentar seguir algunos de sus hilos. Para eso, podrás seguir bailando y hablando hasta encontrar una forma donde te vuelvas lx contadorx/protagonista/testigo de tus proprias historias de perreo. También podrás realizar un video, contando verbalmente las historias y/o podrás escribir un texto. Seguramente inventarás otros modos de reincorporar y difundir las historias.

En todo caso, integra que las micro-historias de nuestros gestos y de nuestros bailes tienen mucho valor. Como archivos kinestéticos de danzas populares, estuvieron escasas veces conservados, con lo cual fueron hasta el día de hoy sistemáticamente excluidos de la historia de la danza.

Juego 7 (puede servir – o no – como táctica de desidentificación con letras de canciones y para inventar nuevos eslóganes)

Coreando hasta el final. Para este juego, tal vez querrás usar una computadora para bajar letras. El principio es sencillo : se trata de corear canciones cuyas letras amas y/u odias e ir, de esta manera, negociando tus inclinaciones fanáticas como tus niveles de tolerancia hacia discursos sexistas y/o misóginos.

Elige un tema, y sentadx, de pie, o ya moviéndote, cántalo una primera vez entero, y observa  fricciones, incomodidades y/o emociones particulares producidas. ¿Acaso hay un pasaje de la canción que realmente te encanta, un verso, una melodía? ¿Opuestamente acaso  hay momentos insoportables, imágenes que ya no quieres estar aceptando?

Ya para la próxima pasada, empieza a canalizar tus reacciones, cantando y deformando tu voz al mismo tiempo, modulando volúmenes y tonalidades, exagerando acentos, sobre-pronunciando etc. Si surgen gestos, mímicas, amplifícalos también.

Cuando ya hayas entrado en una suerte de euforia melodramática, será el momento de agregar la última capa de esta interpretación excesiva, inventando nuevas letras, reemplazando, interviniendo, repitiendo, transformando los contenidos, sustituyéndolos por otros eslóganes, otros futuros.

Juego 8 (puede servir o no para que la fiesta prenda)

La previaaaaaa peligrosa. La previa peligrosa es bien activa. A la vez llega por sí misma. Está compuesta por todos los juegos anteriores y a la vez es otra. Es cuando unx acepta que ya no hay juego preciso, que ya no hay plan en sí, o más bien que el plan es esto : seguir el no plan. Obvio que el volumen alto es parte.

Algunas ocupaciones oblicuas, dignas del momento son :

vestirse (diva)
maquillarse (guerrerx)
tatuarse (poemas)
camuflarse (fluidxs)
coctelear (picante)
sacar fotos y videos (baratxs)
armar desobediencias ardientes (muchas)

III. Anti-manuel de perreo

Peut-être que tu es parti·e de chez toi, peut-être pas, peut-être que tu n’es jamais revenu·e, peut-être que tu as oublié, peu importe, si à un moment donné tu t’es réveillé·e en pensant, « aujourd’hui, il le faut vraiment, vraiment, je dois faire chauffer les moteurs », cet anti-manuel est pour toi : pour que tu l’utilises comme bon te semble, et peut-être pour que tu retrouves l’infra-monde. Et pour briser l’estrade, où que tu sois. Seul·e ou avec des ami·es.

Pour te prévenir : les jeux qui suivent ont été inventés à partir du plaisir de bouger sur des rythmes aimés et peuvent faire surgir des souvenirs et des sensations nostalgiques ou douloureuses. Dans tous les cas, n’hésite pas à ne pas faire, à adapter, changer ou interrompre des jeux s’il le faut, et bien sûr, à les essayer dans le désordre. Et à partir de maintenant, je te passe cette playlist 12, largement composée par DJ Kayaté, qui a joué lors du Perreo Combativo devant la cathédrale de San Juan, Porto Rico, en juillet 2019. Tu peux la lancer dès maintenant, et changer les volumes selon tes envies. Nous on commence souvent avec la musique basse et puis on augmente progressivement.

Dernière chose : pour jouer, il faut quelques accessoires. Tout d’abord, un espace, même petit, qui peut être à l’intérieur ou à l’extérieur. Et un système son. Si possible, avoir des vêtements confortables et si tu aimes comment ils te vont, c’est encore mieux. Pour les plus ambitieux·ses, du papier, un stylo et un ordinateur avec accès à Internet, ça aide toujours. Et maintenant, c’est bon, on lâche tout !

Jeu 1 (peut être utilisé – ou non – pour transformer la colère et la tristesse)

De quoi ton corps a besoin, juste là, maintenant ? Choisis un espace à toi, petit ou grand, et prends le temps (autant de temps que nécessaire) d’écouter ce que ton corps te demande en ce moment. Peut-être que tu voudras t’allonger, te détendre, te reposer, ou au contraire accélérer, t’étirer, faire de l’exercice, ou encore autre chose. Dans tous les cas, laisse-toi aller à ce que ton corps te demande de faire. En attendant, et tout en continuant ce que tu es en train de faire, voici quelques questions que tu peux te poser à toi-même : comment vont et où sont ton corps et ton esprit ?  Tout au long du jeu, n’oublie pas de bien respirer.

Jeu 2 (peut être utilisé – ou non – pour réenchanter l’espace)

Explorer le fait de toucher et d’être touché·e. Tu peux maintenant prendre une position confortable (assise ou allongée) et fermer les yeux. Laisse-toi soutenir, essaie d’abandonner ton poids à la gravité. À partir de là, tu peux commencer à contempler comment ton corps change lorsque tu touches d’autres corps et/ou d’autres objets. Au début, tu peux rester immobile et prêter attention aux micro-mouvements qui nous habitent. Ta peau est l’organe le plus lourd de tous. Elle est composée d’une infinité de trous qui transmettent des informations vers l’intérieur et vers l’extérieur.

Concentre-toi un moment sur les différentes parties de ton corps en contact avec des matériaux durs comme les objets, les murs, les sols, les tables, ou mous, comme l’air, ou mous et durs, comme les corps de tes ami·es. Qu’est ce que tu ressens lorsque tu touches ces matériaux qui t’entourent ? Comment les formes, les températures, les textures t’affectent-elles ? Quelle est la différence de sensation entre la peau de ton visage caressant l’air et la peau de ton talon reposant sur le bois, entre les zones de ta peau nue et les zones couvertes par des vêtements ? Combien de sensations peux-tu recevoir en même temps ? Tu sens aussi qu’à l’intérieur de ton corps, tes organes, tes muscles, tes os, tes fluides, se touchent, te touchent, touchent et sont touchés par l’espace.

Concentre-toi maintenant sur ce contact. Il ne s’agit pas seulement de recevoir des informations de l’espace, mais aussi de les collecter. Imagine que tout ton corps est une main qui essaie de lire l’espace, ses objets et ses corps, en les touchant, en les caressant, en les poussant, en les saisissant. Petit à petit, tu peux commencer à bouger, toujours à partir du toucher, à partir de l’exploration tactile de l’espace. N’oublie pas les zones périphériques. Tu peux commencer à toucher avec toutes tes parties. Lorsque tu te sentiras à l’aise dans ce rôle actif, tu pourras passer du mouvement à l’immobilité, de toucher à être touché, et entrer peu à peu dans un monde de sensations continues. Peut-être qu’il est possible de goûter avec la peau et de laisser l’espace nous goûter à partir de ses multiples peaux.

Peut-être qu’il est possible de goûter avec la peau et de laisser l’espace nous goûter à partir de ses multiples peaux.

Une autre version de cet exercice. Tout en expérimentant les mouvements et les sensations provoqué·es par le fait de toucher et d’être touché·e, parle à haute voix, sans t’arrêter, pendant au moins trois minutes (tu peux utiliser une alarme), en répondant à cette question : comment vont et où sont ton corps et ton esprit ? Si tu fais l’exercice avec des ami·es, vous pouvez parler à haute voix, à tour de rôle, pendant que les autres sont témoins, écoutent les mots sans les commenter et poursuivent leur propre exploration.

Jeu 3 (peut être utilisé – ou non – pour s’échauffer)

La danse du souvenir. Selon ton humeur, cet exercice peut être réalisé avec ou sans musique. Ou d’abord avec, puis sans. Ou en alternance. Avec la pratique, tu pourras déterminer clairement ce dont tu as besoin.

Avec musique. Choisis une chanson importante de la playlist, une chanson que tu aimes. Si tu n’en trouves pas dans la playlist, cherches-en une. Sans réfléchir, danse l’intégralité de la chanson, comme ça vient. Après une courte pause, danse à nouveau sur la même chanson, en essayant de retrouver les mouvements que tu fais toujours. Quelle partie de ton corps les initie ? À quoi ressemblent-ils ? Quels types d’émotions et de sensations véhiculent-ils ? Peux-tu les identifier ? Peux-tu les expliquer ? Dans tous les cas, danse à nouveau sur la chanson, autant de fois que nécessaire pour identifier certains des gestes de ton répertoire de reggaetón. Garde à l’esprit que les gestes sont des formes ouvertes qui changent sans cesse, et que ce jeu ainsi que ton répertoire sont infinis, façonnés par nos histoires de vie et toujours en train de se renouveler.

Sans musique. Cette fois, la danse du souvenir se fait en cherchant à sentir les traces des gestes et des rythmes qui reviennent toujours. En silence, essaye de danser sur des chansons que tu aimes, en les chantant intérieurement, ou très doucement, jusqu’à ce que tu retrouves des morceaux de chansons et certains de tes mouvements. Pour soutenir le rythme, tu peux aussi claquer des doigts, faire claquer ta langue ou taper du pied. Si tu improvises avec des ami·es, tu peux aussi essayer de te rattacher aux rythmes des autres sans perdre le fil de tes propres souvenirs. Laisse tes souvenirs s’écouler, en reliant différents refrains, différentes mélodies, différentes paroles. Comment te sens-tu en dansant avec ces souvenirs ? Tu trouves ça facile ou difficile ? Est-ce que la musique te manque ? Si tu peux, insiste, recommence, en dansant et en explorant l’immensité de tes souvenirs.

Nommer. Il s’agit maintenant de prêter à nouveau attention à ton répertoire, et de nommer quelques uns de te gestes. Les noms peuvent faire référence à l’histoire de la danse ou être beaucoup plus personnels. Voici quelques noms de gestes que nous avons inventés : Poulpe-tricot, Petite salsa, Sautillés, Vidéo-clip, Zapateo, etc. Le plus important est que le nom soit simple et qu’il soit clairement lié (pour toi) à l’un de tes gestes. En jouant à ce jeu en groupe, vous échangerez sûrement des noms de gestes, et vous vous rendrez compte que certains gestes vous sont très personnels et que d’autres sont clairement communs.

Jeu 4 (peut être utilisé – ou non – pour se moquer des regards hétéro-coloniaux et retrouver tes pouvoirs)

Imaginer les regards. Version solitaire. Laisse la playlist jouer au hasard, choisis entre deux et quatre mouvements de ton répertoire de gestes reggaetoneros (ceux que tu as identifiés dans le jeu précédent), et danse à partir de ces mouvements tout en imaginant différents regards qui se posent sur toi. Avec de l’entraînement, tu détermineras quels sont les regards qui t’intéressent. Pour rendre le jeu moins difficile, tu peux décider de jouer avec un, deux ou trois regards, successivement ou simultanément. Les regards peuvent être variés : des regards de personnes que tu connais, des regards de personnes que tu aimes, des regards de personnes que tu détestes, des regards de personnes vivantes, des regards de personnes décédées, des regards de fantômes, des regards de personnes fictives, des regards de chanteur·euses, des regards de personnes célèbres, des regards d’une foule, des regards de loin ou de près, des regards d’animaux, des regards technologiques (comme les regards de caméras, de personnes qui nous regardent sur internet), etc. Il peut également s’agir de regards aveugles, de simples présences. En dansant pour eux, ou contre eux, en essayant de les impressionner, de les séduire, de les moquer, de les choquer, de les ignorer, observe comment ces regards influencent tes gestes. Peut-être que tu changeras tes gestes, que tu les exagéreras, peut-être que tu les diminueras, peut-être que tu les adapteras… Tout est possible.

Version de groupe. Cette version est similaire à la version solitaire, sauf qu’on définit des rôles. Une personne danse, tandis que les autres regardent, ajoutant leurs regards réels aux regards imaginaires de celui·celle qui danse. Celleux qui regardent peuvent changer de position (rester assis·e, debout et/ou se déplacer dans l’espace). À la fin d’une chanson, les spectateur·rices peuvent partager ce qu’iels ont vu, et les danseur·euses peuvent partager ce qu’iels ont fait, ce qu’iels ont ressenti, et les regards avec lesquels iels ont décidé de jouer.

Jeu 5 (peut – ou non – servir à devenir une étoile filante malgré tout)

Être la chanson. Choisis une chanson que tu aimes beaucoup. Écoute-la une première fois  (assis·e, allongé·e et/ou en bougeant) tout en essayant de tendre l’oreille pour détecter des instruments, des tons, des timbres, des cadences, des textures, des accents, des voix, des paroles, des chevauchements, des rencontres.  Il s’agit de se lier d’amitié avec les couches que tu perçois. À partir de là, choisis deux ou trois gestes de ton répertoire. Lorsque tu mets la musique à nouveau, n’hésite pas à augmenter le volume. En improvisant à partir de ton répertoire, l’idée cette fois c’est d’être la chanson : de tout donner, du début à la fin. C’est-à-dire qu’en te servant de tes gestes-archives et en t’appuyant sur certaines couches sonores de la chanson, tu t’appliques tout en dansant, à te transformer en un instrument. C’est important de s’en tenir à quelques gestes pendant toute la durée de la chanson, et d’expérimenter qu’il ne s’agit pas de formes fixes mais au contraire de formes-forces ouvertes qui changent, s’adaptent, se modulent, et peut-être s’entremêlent.

Je te donne un exemple : je mets la chanson Yo perreo sola, de Bad Bunny. En l’écoutant pour la première fois, je remarque l’introduction et ses effets circulaires et métalliques, je remarque le dembow électronique qui sert de base à tout le morceau, je remarque les deux voix, une voix aiguë, avant le refrain, qui parle presque (« antes tu me pichabas, ahora yo picheo… ») et ensuite la voix très grave de Bad Bunny. Et je remarque encore beaucoup d’autres choses. Ensuite, je choisis au sein de mon propre répertoire, une ondulation-cascade, des bras flamenco et des vibrations de hanches. À partir de là, je fais une première improvisation. Peut-être en commençant par les bras flamenco, qui marquent les temps forts, et qui dessinent, au-dessus de ma tête, autour de mon torse, ou près de mes pieds, des courbes que je déplace, en me déplaçant dans l’espace. À un moment donné, j’ajoute mes hanches, qui commencent à vibrer, d’abord lentement, puis plus rapidement, toujours en recevant la chanson. Quand arrive le refrain, peut-être que j’arrêterai brusquement tout ce que je faisais et que je me mettrai à onduler, d’abord debout, et pourquoi pas plus tard allongée et en roulant sur le sol. Tout cela en sachant qu’à l’exception des gestes-archives que j’ai choisis et des événements de la chanson que je repère, le reste n’est que pure décision du moment, intuition de l’instant, et ouverture sensible maximale. De là, en devenant un instrument de danse – un instrument organique capable de rejoindre un groupe d’instruments et d’interpréter tous les autres instruments en même temps – on se rend compte que non seulement les matériaux de l’espace nous bougent et nous é·meuvent, mais que parfois nous oublions que nous vivons dans des labyrinthes de synesthésies. Et que le son est aussi une matière qui nous touche, et que nos corps ne sont que des rythmes, composés des mêmes éléments que les étoiles.

À la fin de l’improvisation, on pourra essayer de se souvenir de ce qu’on a fait, des moments où l’on s’est senti·e entièrement instrument, et des moments où l’on était un peu en décalage. Si tu es avec des ami·es, iels peuvent t’observer danser et commenter ce qu’iels ont vu. Iels peuvent également s’entraîner sur la chanson collectivement. En improvisant tous·tes ensemble et/ou en décidant ensemble des gestes-archives que chacun·e utilise, des couches de la chanson que chacun·e va interpréter. Peut-être que tu auras envie de recommencer tout de suite. Avec les mêmes gestes, ou avec d’autres, avec la même chanson ou avec une autre. De laisser que les chansons entrent et sortent de tous nos trous, et laisser, comme le dit Residente, notre abdomen exploser, comme une fête patronale.

Jeu 6 (peut être utilisé – ou non – pour rembobiner les mémoires singulières et collectives du perreo)

Quelles sont les histoires de tes gestes ? Pour ce jeu, il est très utile de se munir d’un papier et d’un stylo. Je te recommande également de baisser le volume de la musique. Cette fois-ci, l’idée c’est de remonter le temps de tes gestes, en utilisant tes propres souvenirs. Et donc de s’intéresser, cette fois-ci, non seulement aux potentiels spatiaux de vos gestes (comme dans le jeu 5) mais aussi à leur épaisseur historique.

La première étape consiste en une sorte d’auto-interview dansée. Elle se déroule comme suit : tu choisis un geste de ton répertoire, tu commences à l’improviser. Lorsque tu le sens fluide, laisse ta voix raconter et prononcer toutes les associations libres. Des bouts de phrases ou juste des sons, des mélodies, des onomatopées et des mots inexistants. Essaye de continuer jusqu’à sentir l’influence de tes gestes sur ta voix et inversement. Tu peux emprunter des chemins sensoriels, des chemins mnémotechniques et/ou des chemins fictionnels. Tous ces chemins font partie de l’histoire passée, présente et future de tes gestes. Tu éprouveras sûrement des sensations physiques, des souvenirs, des lieux, des personnes, des situations, des rôles qui inspireront tes gestes. Et certains de tes gestes-archives se transformeront probablement (peut-être à tel point que tu devras leur donner des nouveaux noms). De temps en temps, prends une pause et profites en pour noter sur un papier les mots, les images, les figures qui émergent.

La deuxième étape est plus performative. L’idée maintenant, c’est de réactiver les histoires. Après avoir sélectionné quelques éléments importants de ton auto-interview, tu vas tenter de suivre certains de leurs fils. Pour cela, tu peux continuer à danser et à parler, jusqu’à ce que tu trouves une manière de devenir le·la narrateur·rice/personnage principal·e/témoin de tes propres histoires de perreo. Tu peux aussi faire une vidéo, en racontant simplement les histoires et/ou tu peux aussi écrire un texte. Tu inventeras sûrement d’autres façons d’incorporer et de partager ces histoires.

Quoi qu’il en soit, sois bien sûr·e que les micro-histoires de tes gestes et de tes danses sont très précieuses. En tant que traces kinesthésiques des danses populaires, elles ont rarement été conservées et ont souvent été systématiquement exclues de l’histoire de la danse.

Jeu 7 (peut – ou non – servir de tactique de désidentification avec les paroles de la chanson et inventer des nouveaux slogans)

Chanter à fond. Pour ce jeu, tu peux utiliser un ordinateur pour télécharger des paroles de chansons. Le principe est simple : chanter des chansons dont tu aimes et/ou détestes les paroles, et négocier ainsi tes penchants fanatiques ainsi que tes niveaux de tolérance à l’égard de discours sexistes et/ou misogynes.

Choisis une chanson, et assis·e, debout, ou déjà en mouvement, chante-la une première fois dans son intégralité, et observe les frictions, la gêne et/ou les émotions particulières produites : y a-t-il un passage de la chanson que tu aimes vraiment, un couplet, une mélodie ? Y a-t-il des moments insupportables, des images que tu ne veux plus accepter ?

Lorsque tu chantes à nouveau la chanson, commence à canaliser tes réactions, par exemple, en déformant ta voix, en modulant les volumes et les tonalités, en exagérant les accents, en sur-prononçant, etc. Si des gestes, des mimiques apparaissent, amplifie-les également.

Lorsque tu seras entré·e dans une sorte d’euphorie mélodramatique, ce sera le bon moment pour ajouter une dernière touche à cette interprétation excessive, en inventant de nouvelles paroles, en remplaçant, en intervenant, en répétant, en transformant leurs contenus, en les remplaçant par d’autres slogans, d’autres avenirs.

Jeu 8 (peut ou non aider la fête à démarrer)

L’avant-fête périlleeeeeuse. L’avant-fête périlleuse est très active. En même temps, elle commence toute seule. Elle est composée de tous les jeux précédents et en même temps, elle est autre. C’est le moment où l’on accepte qu’il n’y a plus de jeu précis, qu’il n’y a plus de plan, ou plutôt que le plan c’est justement ça : suivre l’absence de plan. Évidemment, le volume haut fait partie de ce non-plan.

Quelques occupations obliques, dignes du moment sont :

l’habillage (diva)
le maquillage (guerrièr·e)
le tatouage (poèmes)
le camouflage (fluide)
faire des cocktails (épicés)
faire des photos et des vidéos (des ratées)
fabriquer des désobéissances brûlantes (beaucoup)

Bibliographie

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  1. Les rumeurs sur l’étymologie du perreo, littéralement, en espagnol, la danse du chien, sont multiples. Elles pointent toutes vers des connotations sexuelles et/ou péjoratives et dialoguent alors aisément avec de nombreuses autres histoires sémantiques des danses afro-caribéennes porteuses des discours avilissants portés sur les danses et les corps autres (Jones, 2016). [Retour au texte]
  2. Cette musique syncopée, chantée et rappée en espagnol, d’abord appelée melaza, underground, avant d’être reggaetón (ou reguetón ou reggaeton) et puis de se diversifier récemment en trap latino ou en neoperreo, a été largement influencée par le hip-hop, le dancehall et de nombreux rythmes afrolatinos (la salsa, le merengue, le calypso, le son, la bomba, le mento, la soca entre autres). Elle a commencé à émerger à partir des années 1980, lors d’échanges culturels et migratoires entre des quartiers défavorisés des Caraïbes hispanophones, d’Amérique Centrale et de New York City (États-Unis), avant de déferler dans toute l’Amérique latine, en Amérique du Nord, en Europe et au-delà (Marshall, 2021). [Retour au texte]
  3. L’expression « Abya Yala », qui signifie en langue kuna, « terre de pleine maturité » ou « terre de vie», est actuellement utilisée par de nombreux·ses citoyen·nes, militant·es et intellectuel·les pour désigner le continent américain. [Retour au texte]
  4. Extrait de la chanson El apagón (La coupure d’électricité, 2022) écrite et interprétée par Benito Antonio Martinez Ocasio alias Bad Bunny [Retour au texte]
  5. Ces expressions proviennent de perreadorxs résidant en France et originaires de différentes régions d’Amérique Latine. [Retour au texte]
  6. À partir de la fin des années 2000, des cours de danse reggaetón ont ouvert dans plusieurs pays d’Amérique Latine, d’Amérique du Nord et d’Europe, et des tutoriels ont été publiés sur Youtube. Une histoire de cette codification entre présentiel et numérique reste à écrire.  [Retour au texte]
  7. La petite dizaine de travaux que j’ai recensés ont été publiés majoritairement par des étudiant·es et adoptent une perspective ethnographique et/ou critique. Cf. Zembrana, 2021, Salinas et Ruiz Nuñez, 2020, Harto, 2020, Garrido Peña, 2017, Li Wan 2014, Ramirez Maldonado, 2013, Rivera Servera 2012, Rodriguez Morgado, 2012, Rivera, 2009, Fairley, 2009 , Paez, 2007, Lagarta et Galindo, non publié. [Retour au texte]
  8. Les médias internationaux relaient régulièrement les représentations clivantes suscitées par le succès gigantesque du reggaetón. Voir entre autres, « Pourquoi le reggaetón est-il encore méprisé ? », Courrier international, samedi 8 octobre 2022, URL : https://www.courrierinternational.com/article/musique-pourquoi-le-reggaeton-est-il-encore-meprise. [Retour au texte]
  9. Je décris mon terrain en fêtes réalisés entre 2018 et 2021 dans ma thèse doctorale soutenue en décembre 2024 et intitulée : An·archiver des danses reggaetón : pour des histoires décoloniales et des archives communes de perreo dans l’ère d’après Despacito. [Retour au texte]
  10. La création de Dale Duro ! a été soutenue par le Centrequatre-Paris (projet résident du Laboratoire des cultures urbaines) et a reçu la bourse d’aide à l’écriture en danse SACD-Beaumarchais. Le projet a été accueilli par La Briqueterie CDCN du Val-de-Marne (Vitry), par le Studio-théatre Turbulences d’AMU, le Théâtre de la Clé du Quai (Bordeaux), le Centre National de la Danse (Pantin), Klap, Maison pour la Danse (Marseille, 3e) du Centrequatre-Paris, lauréat de la bourse d’écriture en danse Beaumarchais-SACD. [Retour au texte]
  11. https://open.spotify.com/playlist/1cY5jBXZxOaMFHAUABCqyP?si=gBMsh3ctSemB8hQXuqn_jA [Retour au texte]
  12. https://open.spotify.com/playlist/1cY5jBXZxOaMFHAUABCqyP?si=gBMsh3ctSemB8hQXuqn_jA [Retour au texte]