Tourné avec un téléphone portable, le film documentaire Le Kiosque d’Alexandra Pianelli (2020, 78 minutes) permet d’ouvrir plusieurs pistes de réflexion sur les images en transit. D’une part, comme son titre l’indique, le film a été tourné dans un kiosque à journaux, c’est-à-dire, non seulement un espace de commerce mais aussi un espace d’échanges et de conversations, de passages et de transmission d’informations ainsi qu’un lieu de transactions économiques importantes. Le transit peut donc y être considéré au sens littéral du mouvement physique des marchandises que sont les journaux mais aussi des entrées et sorties des clients, ainsi qu’au sens de l’échange financier. Il peut également être entendu au sens figuré des échanges intellectuels qui s’y développent. Par ailleurs, pour assurer les éléments de contextualisation concernant l’histoire des kiosques à journaux et le système économique de la presse écrite dans lequel ce kiosque s’insère, le film fait appel à différents médiums. La majorité des scènes est tournée avec un téléphone portable ou une caméra GoPro fixée sur le front de la kiosquière pendant qu’elle travaille mais certaines scènes font intervenir d’autres supports comme le dessin, l’écriture ou l’usage de maquettes en carton. Ces variations de supports produisant un autre niveau de circulation entre différents médiums et entre différents niveaux narratifs nous paraissaient intéressantes à questionner dans le cadre de ces journées de colloque.
Caroline Renard : Lorsque vous tournez ce film, vous travaillez comme marchande de journaux pour aider votre mère dans le kiosque que votre famille gère depuis plusieurs générations, place Victor Hugo, dans le XVIème arrondissement de Paris. Vous avez choisi un parti pris spatial qui consiste à tout filmer sans jamais quitter le petit espace de vente derrière la caisse. Le lieu est ainsi saisi depuis l’intérieur dans de fortes interactions avec l’extérieur. Pouvez-vous nous expliquer comment ce dispositif s’est mis en place ?
Alexandra Pianelli : Le Kiosque est un projet qui a été très long à développer. C’est une comédie dramatique documentaire pour laquelle la règle du jeu était d’arriver à réaliser un film avec rien, à part du papier et mon téléphone, et avec ce point de vue radical de toujours rester derrière la caisse du kiosque, en essayant de ne jamais en sortir. En choisissant, ce point de vue que l’on méconnait (puisque que l’on voit toujours le kiosquier depuis la rue, crouler sous ses revues), je souhaitais emmener le spectateur avec moi derrière la caisse, qu’il voit au travers de mes yeux et qu’il puisse se rendre compte à quel point un kiosque est un merveilleux poste d’observation du monde. J’aime l’idée que le documentaire montre quelque chose de l’envers du décor, le Behind the scene et puisse proposer une immersion dans un univers difficile d’accès. J’ai choisi de tourner seule avec du matériel léger, d’une part parce qu’il n’y avait pas de place pour une équipe de tournage derrière le comptoir, et d’autre part pour ne pas effrayer les clients. Avec ces outils amateurs, je filmais la vie du kiosque comme n’importe qui aurait pu filmer sa vie ; ainsi les clients ne me prenaient pas au sérieux et n’étaient pas intimidés. Le tournage a duré plusieurs années. Au visionnage, on a l’impression que l’histoire se déroule sur une année mais il y a eu un très long temps d’immersion. J’ai travaillé et j’ai tourné pendant six ans dans ce kiosque. C’est ce qui m’a permis de filmer les clients avec complicité mais aussi les saisons, le temps qui passe et les années plus sombres. Plus la retraite anticipée de ma mère approchait, plus j’ai filmé. La fin du film s’est imposée à moi par surprise. Une fois le kiosque fermé, j’ai sollicité une boite de production. Le plus long n’a pas été le montage qui n’a duré que douze semaines. C’est le travail de financement qui nous a pris le plus de temps, qui, lui, a duré quatre ans. Quatre ans pendant lesquels je me suis consacrée à l’écriture et à la réécriture de dossiers. Cela a été l’étape la plus fastidieuse du processus.
Caroline Renard : Pendant le tournage, aviez-vous l’idée des maquettes et des dessins explicatifs ?
Alexandra Pianelli : Pas du tout, l’aspect didactique est venu beaucoup plus tard. L’envie première était de faire un film derrière une fenêtre, à la première personne. Un dispositif que j’avais déjà expérimenté lorsque j’étais étudiante à l’École des Arts Décoratifs de Strasbourg avec le film Fenêtres sur cour (Quelque chose de Tennessee) : un essai vidéo réalisé sur mon lieu de travail (un job alimentaire) ; le temps d’un été, je me suis improvisée concierge. J’étais payée pour surveiller les entrées et les sorties des résidents de l’immeuble que j’avais à charge et observais le monde depuis la fenêtre. Dans ce film, on me voit doublement « à l’œuvre » : en train d’apprendre un métier, l’exercer et simultanément en train de tenter d’en dresser un portrait en le filmant… la plupart du temps derrière une fenêtre. Lorsque je suis venue aider ma mère quelques années plus tard, postée derrière le comptoir, j’ai été étonnée de me retrouver à nouveau derrière une fenêtre : un cadre, délimité par les présentoirs de journaux, dans lequel les gens rentraient et sortaient.
J’ai donc commencé à filmer spontanément sans avoir d’ambition cinématographique particulière. J’ai filmé le travail (d’abord pour l’apprendre), puis les clients dans le kiosque du point de vue de la caisse. Je filmais, amusée, les échanges en tout genre, en cinéma direct. Je me disais que ça pouvait être ça aussi le documentaire : un espace qui mêlerait l’art et la vie. J’imaginais que ces images finiraient sur mon site internet, une sorte de série web qui évoluerait au fil des saisons et des années. Je ne pensais pas du tout faire un film qui sortirait au cinéma. C’est seulement au bout de trois ans, frappée par ce réel que j’arrivais à capter, qu’un film s’est dessiné dans ma tête.
Plus tard, lorsque le projet a suscité l’intérêt d’une boite de production, il m’a fallu tout apprendre. J’ignorais tout de la production audiovisuelle. J’ai, en quelque sorte, grandi avec ce projet et à force d’écriture ou de réécriture de dossiers, mes intentions premières ont bougé : après m’être focalisée sur la famille, les clients, j’aspirais à « ouvrir le champ » et parler du monde, le kiosque comme métaphore. J’axais alors le film autour des questions de travail, de filiation et de transmission. La dimension politique devenait aussi de plus en plus forte. Lorsque Léa Chatauret, ma monteuse, a découvert les rushes du film, je me suis sentie un peu déroutée : ces dimensions nouvelles que j’avais fantasmées à l’écriture n’existaient pas dans mes images ou était peu exploitables ! De nature plutôt têtue, j’ai cherché par tous les moyens à faire exister ces idées. Je craignais que le film soit trop anecdotique, trop tendre en l’état. Je craignais aussi que le spectateur n’apprenne pas grand-chose du métier avec les seuls échanges de clients. J’ai alors imaginé tourner de nouvelles scènes dans le kiosque. Mon seul problème, c’était que le kiosque avait fermé et que nous n’y travaillions plus ! J’ai donc recréé un petit studio dans mon salon, un faux kiosque pour tourner de nouvelles séquences. J’ai imaginé tout un décor, recréée des affiches, des objets hyperréalistes pour que ces nouvelles images arrivent à s’insérer aux autres tournées cinq ans plus tôt dans la rue. C’est le secret du film : toutes les scènes de maquettes ont été tournées a posteriori, chez moi, en 2019. C’est la part de fiction de ce documentaire. Une fois ce deuxième dispositif trouvé, je me suis mise à penser à des tutoriels à l’adresse du spectateur. Des tutos qui dégageraient les grandes lignes du fonctionnement de la presse. L’enjeu pour Léa, ma monteuse, était d’arriver à tisser une narration avec ces vidéos IPhone très courtes, comme des capsules et ces séquences studio. Il fallait à tout prix conserver cette idée du huis-clos, qu’on ait l’impression que j’étais toujours dans le kiosque quitte à créer un léger trouble. Un vrai travail de broderie ! Ce processus vraiment long a permis à l’écriture du film de se déployer dans le temps et au film de prendre une dimension plus politique.
Caroline Renard : Il est intéressant de savoir comment les choses se pensent et se construisent dans la durée. Cela nous aide peut-être à mieux saisir le kiosque comme lieu dynamique de passage, d’échanges et de circulation très important, à partir duquel le film construit une forme de circulation entre les images et les mots pour produire une ampleur spécifique. Il y a les images tournées au téléphone mais aussi les mots filmés : ceux que l’on voit imprimés dans la presse écrite ou ceux qui sont manuscrits dans le kiosque comme les étiquettes ou les petits mots laissés entre les vendeurs. Tout ce qui relève de l’écrit produit un autre niveau de sens qui ouvre à la fois à la circulation de l’information, à l’échange mais aussi à cette dimension politique du film. Sur ce point, il me semble que vous tournez en 2012-2013, à un moment de débats de société où se posent des questions de transition politique et de transition économique en France. Sans aborder ces questions-là de manière frontale comme pourrait le proposer un film d’enquête, vous arrivez à faire exister cette période de crise à partir du kiosque. On comprend peu à peu qu’une crise économique concerne ce commerce précis, mais on comprend aussi la menace qui pèse sur la presse papier et comment cela s’inscrit dans un paysage politique précis. Le kiosque forme une sorte de point de répercussion au centre d’un premier cercle qui est la place Victor Hugo, point que vous géolocalisez, en somme, en filmant un plan de Paris pour le situer et au cœur d’un quartier que l’on ne voit pas mais qui existe dans le film. Mais le kiosque est aussi au centre d’un autre cercle qui est celui de l’écosystème des kiosques et de la vente de la presse papier, système lui-même pris dans une réalité sociologique et politique. Cet effet de description enchâssée me semble en partie produit par le jeu de transition entre les images et les mots, les images captées par le téléphone, vos dessins et les maquettes.
Alexandra Pianelli : Oui, le kiosque est un fabuleux lieu de rencontres. Derrière la caisse, on se sent aux portes du monde. On ne choisit pas à qui l’on parle, les gens viennent à nous car on fait partie du décor ou de leur quotidien. C’est un lieu où les échanges sont vifs, où l’on apprend à vivre avec l’altérité et où l’humour permet parfois de déjouer la routine ou des situations complexes. Un lieu où l’on est toujours au seuil de quelque chose… entre l’intime (une maison de famille, une équipe derrière une caisse) et le public (l’autre, la rue). J’ai tourné ces images de 2008 à 2014. Ces six ans au kiosque m’ont permis de prendre la température du monde. La crise s’incarnait simultanément sous mes yeux, dans les gros titres des journaux que je vendais, et devant ma « fenêtre », dans les discussions avec les clients qui me faisaient part de leurs inquiétudes ou de leurs positions politiques. J’assistais au fil des années aux grèves successives des ouvriers du livre qui ne nous livraient plus les journaux, à la baisse de la fréquentation du kiosque, à la montée du nationalisme, aux ventes de journaux FN qui s’envolaient, aux manifestations qui avaient cours Place Victor Hugo contre le Mariage pour Tous, aux clients perdus qui s’étaient abonnés aux contenus en ligne depuis l’apparition des tablettes ou smartphones… C’est précisément pour cela, d’ailleurs, que je voulais faire un film sur la crise de la presse avec mon iPhone : utiliser l’outil même qui tue la presse papier ; Un objet qu’on a tous dans la poche et qui nous livre l’infos plus vite que l’éclair. Je voulais que le film soit le témoin de ce passage, du papier au numérique, qu’il puisse montrer les beautés de ce métier et les raisons de sa disparition. En revanche, j’ai vraiment veillé à ne pas tomber dans une lecture binaire et nostalgique… dire « c’était mieux avant » sur des airs d’accordéons. Il fallait que soient représentées les différentes générations, montrer l’attachement au papier ou aux commerces de proximité ET la plongée dans l’ère du digital. Je ne voulais pas que ces deux réalités s’opposent. Au contraire, je voulais qu’il y ait de la continuité entre les deux, un échange. Forcément, à la fin du film, lorsque l’on voit le kiosque être démonté et être emporté, c’est un peu triste ; une note de musique continue, un « LA » rythme les images comme un cœur qui s’est arrêté, une petite mort qui s’inscrit dans un cycle plus grand, dans une avancée normale de l’histoire, de ce lieu et de ces personnages.
Caroline Renard : D’ailleurs, je me demandais s’il y avait une forme de mélancolie particulière produite par la forme des images en transit. Mais c’est une autre question.
Alexandra Pianelli : Je ne sais pas, mais je remarque qu’il y a un retour aux images VHS ou mini-DV aujourd’hui dans la production audiovisuelle, utilisées pour leur esthétique ou en tant que valeur d’archives. En ça, je pense qu’on peut parler de nostalgie…
Question du public : Oui, je trouve très intéressant ce que vous étiez en train de dire sur le fait de filmer à l’iPhone et sur le digital. Parallèlement, je trouve que l’on voit qu’une partie des images du film sont d’assez basse définition par rapport à la qualité des images des téléphones aujourd’hui. On voit qu’il y a une légère évolution de la définition dans le film entre ce qui a pu être filmé au début des années 2010 ou plus tard. Aussi, je voulais vous poser quelques questions un peu techniques. Il y a, par moment, quelque chose d’anamorphique. Je pense que vous avez utilisé un grand angle directement sur l’appareil et je voulais savoir s’il y avait eu un travail de post-production sur le grain de l’image. Je trouve que cela va très bien avec le côté artisanal de ce que vous faites, avec le papier, le carton, enfin, tous les matériaux plastiques que vous utilisez. Et, finalement, j’ai l’impression, que le grain de l’image de téléphone renvoie davantage au côté bricolage amateur du film qu’au côté numérique et digitalisation. Donc, je voulais vous demander si c’était une intention de votre part, parce que c’est peut-être le fait qu’on regarde le film aujourd’hui en 2022, et cela n’est pas du tout négatif, au contraire, mais on perçoit que les images ont un peu vieilli.
Alexandra Pianelli : J’ai travaillé avec un des premiers iPhone 4 qui filmait en mini résolution. J’ai effectivement dû gonfler les images pour le grand écran qui donne certainement ce « grain ». J’assume cette esthétique très pauvre. Aujourd’hui, la qualité des images de téléphone n’a plus rien à voir avec cela. Au début, lorsque le film a pris de l’ampleur et que le projet est devenu un projet pour le cinéma, mon inquiétude était de savoir si ces images allaient supporter d’être projetées en grand. J’ai utilisé des petits objectifs différents pour customiser le téléphone. Il était impossible de travailler et filmer sans que les images tremblent. J’ai donc commencé à utiliser un pied et, petit à petit, j’ai utilisé la GoPro pour libérer mes mains et renforcer le côté immersif. Entre deux temps d’écriture, j’avais fait une formation After Effects. Mais assez vite, j’ai compris que je ne devais pas faire des animations sophistiquées pour ce film et que je devais garder ce côté brut qui est à l’image des échanges suscités par ce métier qui s’exerce dans la rue. J’ai donc choisi d’intégrer les maquettes en carton ou les dessins pour rester dans l’univers pauvre du kiosque, celui du papier. On voit au début du film les présentoirs du kiosque qui sont tout bringuebalants. Un kiosque à journaux c’est tout sauf un Apple store !
Question du public : C’est extrêmement intéressant de vous entendre dire qu’il n’y avait pas forcément d’opposition entre la nostalgie d’un monde papier qui serait un peu en train de s’éteindre et le fait d’une génération qui filme au smartphone. Mais j’ai l’impression que votre façon de travailler ces médiums-là prend aussi le contrepied de quelque chose qui serait d’aller exclusivement vers la technique ou la vitesse. Vous en faites un prolongement du travail plastique, dans une tension assumée entre la dématérialisation et la matérialisation.
Alexandra Pianelli : Oui, ce film est certainement à mon image ! Je suis quelqu’un de lent, qui aime autant les choses de l’esprit que les choses manuelles ! Je suis très attachée au papier mais suis passionnée par la technologie. Elle est rapide et moins chère. Mon idée était de penser la caisse de ce kiosque comme un laboratoire d’expérimentations et de petits bricolages. Ce qui m’intéressait c’était l’objet téléphone en lui-même. Aujourd’hui, c’est un objet qui nous permet de créer du contenu. Tout le monde peut se dire non pas journaliste mais « créateur de contenu ». Chacun peut faire une critique ou être témoin d’une actualité et la publier instantanément. C’était donc aussi de manière cynique ou moqueuse que ce support m’intéressait par rapport au sujet filmé.
Jean-Michel Perez : Dans le film, on perçoit une grande liberté dans l’utilisation des images. Cela me fait penser au travail de Michel Gondry qui s’intéresse lui aussi au bricolage, à cette association entre la technique et l’artisanat. On s’autorise tout, effectivement, et c’est extrêmement réjouissant. Et la question est de savoir comment est-ce que l’on y arrive finalement ? Comment cela se passe à l’écriture ? Nous avons déjà quelques éléments de réponses, vous nous avez déjà donné des pistes, mais comment se déroule l’écriture tout au long du processus ? Pendant que vous tournez, qu’est-ce qui se fabrique ? Nous avons bien compris la création des maquettes, mais je me suis posé la question des dessins. Comment leur présence intègre-t-elle le dispositif du film ? On perçoit des nécessités, des formes d’écriture qui se complètent. Cela produit quelque chose qui fonctionne. Le film construit une réelle unité et en même temps, on a l’impression que vous vous autorisez tout. Je m’interrogeais donc sur le processus de création. On a très bien compris l’importance du montage, mais sur six ans de tournage, les choses ont-elles évoluées, que ce soit au niveau du dispositif de tournage ou en raison de l’écriture des dossiers ?
Alexandra Pianelli : Il arrive souvent que les spectateurs parlent de liberté. Ce que je n’ai pas précisé, c’est que j’ai fait tout à l’envers ! Je ne viens pas d’une école de cinéma, je n’ai donc pas eu les « codes ». C’est ça qui rend libre, en plus de l’enseignement en écoles d’art. J’aime beaucoup intégrer le processus ou l’erreur dans mes films. Le Kiosque, c’est un film en train de se faire. J’ai donc commencé par tourner pour écrire a posteriori. Les années de tournage ont été des années d’expérimentations qui partaient un peu dans tous les sens. En général au tournage, il y a un élan, une sorte d’excitation vers l’inconnu. C’est le moment de tous les possibles. Tout est à l’état de maquette. On ne sait pas ce qu’on cherche mais on le découvre en le faisant. C’est au montage que le film s’écrit, se resserre. Par exemple, au tournage, quand mon amie Zoé vient me filmer, je la filme aussi. On testait le champ / contrechamp. Nous n’avons pas gardé cette idée au montage parce que c’était une promesse que le film n’aurait pas pu tenir à long terme. Beaucoup de choses se sont faites en fonction du climat politique, de mes humeurs ou des échanges avec les clients. Au début, j’étais donc plutôt concentrée sur les clients. J’en ai filmé beaucoup, plus que ceux que l’on voit dans le film. Il a fallu faire un vrai choix. En fait, c’est seulement une fois que le film a été mis en post-production que j’ai su trouver la bonne distance. Jusque-là, j’auto-produisais tout, je montais tout. Avec Le Kiosque, c’est la première fois que je déléguais et que je travaillais en équipe pour la réalisation d’un film. Je me rendais compte qu’avec Léa, je pouvais aller plus loin. De son expertise, j’ai cherché des solutions pour matérialiser ce hors champ. Cette idée que cette crise qui existait dans le XVIème arrondissement n’était pas sans lien avec la crise européenne. Du coup, je me suis sentie très libre et j’ai pris énormément de plaisir. Jusqu’à la dernière seconde, tout était en mouvement, en jeu ou en création. Les séquences où se succèdent les couvertures du journal Le Monde ou d’autres magazines, ce sont des choses que j’ai refaites à partir de ma propre collection de journaux. Ce film est ainsi devenu l’occasion de mettre à profit tout ce que j’aimais faire depuis toujours : des images, du bricolage, du graphisme, du montage et bien-sûr chercher la meilleure forme pour raconter des histoires.
Jean-Michel Perez : Pour revenir sur le processus d’écriture, vous avez essayé de monter des séquences avant d’écrire ? Vous montiez au moment où vous tourniez en vous disant peut-être que cela produirait une série ?
Alexandra Pianelli : Oui, avant de savoir que j’allais m’engager dans la production du film, je pré-montais des séquences de ma série web au fur et à mesure et je les postais sur mon site web. (Episode 1 – saison 1, épisode 2 – saison 3…) Pour revenir sur les dessins, j’en faisais quand je travaillais au kiosque. Comme il fallait que j’apprenne tout, c’était un moyen mnémotechnique pour prendre des notes et me rappeler des visages des clients à qui il fallait mettre la presse de côté ; car au début, je ne les connaissais pas du tout. Puis, c’était aussi une manière de faire rire mon équipe. Plus tard, quand je n’arrivais plus à écrire, je dessinais une partie de mes rushes en indexant tout ce qui se disait pour les connaitre par cœur et être en mesure d’être réactive le jour où le montage commencerait : s’il pleuvait, si c’était l’hiver, l’été, si c’était la crise ou plutôt quelque chose de tendre. Ce sont ces carnets de dessins que j’avais fait au kiosque ou pendant la fabrication du film que nous avons décidé de garder au montage. Au début, je ne voulais pas utiliser ces dessins. Je craignais que ce soit esthétisant et gratuit. Je voyais mal quel statut les dessins allaient pouvoir avoir dans le film. Quand j’ai finalement compris qu’ils apportaient une respiration au récit et une tonalité plus introspective au film, j’ai accepté.
Caroline Renard : Il faut peut-être préciser que les dessins accompagnent souvent le texte que vous dites en voix off. Ils sont montés avec votre voix et ne sont présents que lorsque vous prenez la parole.
Alexandra Pianelli : Oui. De la même manière que je ne voulais pas utiliser les dessins, initialement, je ne voulais pas non plus utiliser de voix off. Je me disais qu’il serait curieux d’avoir une voix off très écrite sur ces images spontanées. Dès le départ, et avant même la phase d’écriture, je m’étais dit que si on avait besoin d’une voix, il faudrait que je joue un peu. Que je joue, c’est-à-dire que je rejoue la séquence au présent. Je me suis donc enregistrée à la maison, dans des coussins — pour retrouver une acoustique semblable à celle des journaux qui absorbent les voix— plusieurs années plus tard. Pendant le montage à Périphérie, quand Léa avait besoin d’une voix pour relier deux scènes, j’allais sur la terrasse et je m’enregistrais avec mon iPhone. On s’est beaucoup amusées. Pendant la pause cigarette, je faisais des voix sur la terrasse et cinq minutes après je donnais mon enregistrement à Léa. On s’est senties très libres pour tester des choses et faire plusieurs maquettes du montage. Ces fausses voix se sont donc « posées » sur les dessins pour les scènes introspectives, sur les maquettes en studio mais se sont aussi infiltrées dans certaines séquences de cinéma direct, comme la scène de voyance avec la boule de jade par exemple où je m’amuse à décrire ce que l’on va voir à l’image.
Jean Michel Perez : Ce sont des scènes qui renforcent l’articulation entre l’intime et ce qui se passe dans le monde justement. La voix est vraiment très importante. Dès le début, elle nous fait basculer dans un film extrêmement intime, qui porte sur une histoire personnelle et en même temps, très vite, on s’en éloigne. Mais les deux sont présents et la circulation entre les deux est très porteuse.
Question du public : Je voudrais revenir à ce fil assez remarquable que vous tissez entre quelque chose de très personnel et la manière dont ça s’ouvre sur l’extérieur. Si j’ai bien compris, vous ne connaissiez pas complètement la réalité de ce métier au moment où vous allez travailler avec votre mère et que vous décidez de faire un film. Pourtant, vous êtes fille de marchands de journaux. Je me demande donc ce qui s’est passé. Vous deviez avoir un imaginaire de ce lieu, de ce travail, et puis vous découvrez le travail en faisant le film, et puis vous le découvrez à nouveau une fois en l’écrivant, parce qu’en le montant, vous mettez en place des logiques narratives qui conduisent à un certain type de construction qui vont aboutir à ce que nous voyons dans le film. Vous avez donc vécu trois moments par rapport au kiosque : un moment fantasmé dans l’enfance, une expérience vécue lorsque vous y travaillez et que vous le filmez et, enfin, un moment de restitution lorsque vous faites les maquettes et le montage du film. Que s’est-il passé entre ces trois étapes ?
Alexandra Pianelli : Quand j’étais toute petite, le kiosque était aussi un point de rendez-vous, un lieu d’échange : mes parents m’y conduisaient le mercredi quand ils allaient prendre la relève de mes grands-parents. Ces derniers qui avaient fini leur journée au kiosque me gardaient le reste de la journée. Je n’y restais pas longtemps. La cadence du travail était trop importante à l’époque. Pourtant, ce temps de transit était assez magique. Le kiosque était pour moi une grande caverne d’Ali Baba avec plein de chewing-gums, le Journal de Mickey, puis, plus tard, les revues d’ados ou de musique. Je le voyais comme une maison de famille, une boutique dans laquelle je pouvais jouer à la marchande. Je ne le connaissais pas dans sa complexité. J’étais donc très émue d’avoir la chance d’être plongée, vingt ans plus tard, dans ce métier que ma famille exerçait depuis près de cent ans. Ce que je devais apprendre, c’était le nom des revues, leurs contenus, leurs prix, leurs emplacements, les invendus. Je devais apprendre à calculer de tête, gérer la manutention. Initialement, j’étais venue aider ma mère le temps qu’elle trouve une vraie vendeuse ; comme, en tant que plasticienne, cela me laissait assez de temps libre pour faire mes vidéos et que ma mère trouvait que je ne travaillais pas trop mal, elle m’a gardée six ans ! C’est comme si j’avais troqué les images pour les mots. Faire un film sur cette nouvelle vie m’a permis de faire un lien entre ces deux mondes, le papier et la vidéo, les mots et l’image. Une manière de ne plus me partager entre temps de création et temps au kiosque. Peut-être aussi une manière de trouver ma place dans ma famille, dans le monde ! Progressivement j’ai été témoin de son inquiétude. Elle n’arrivait plus à se payer. Je redoublais d’efforts pour l’aider au mieux et comprendre les enjeux de son métier. C’est donc par empathie que je suis devenue une bonne vendeuse ! Une fois que j’ai tout appris — y compris à savoir ce que les lecteurs, les clients voulaient acheter avant même de parler — j’ai commencé à m’intéresser au fonctionnement de la presse, dans tout sa chaine. Je lisais beaucoup d’articles et faisais des schémas pour tout comprendre et arriver à me représenter toute la chaine de production depuis l’impression du journal à sa distribution en kiosque. Je voulais comprendre la répartition dans les dépôts, les problèmes entre grands éditeurs et ouvriers du livre, savoir qui étaient les quelques multimilliardaires qui détiennent les médias français et menacent la liberté de la presse. Pour le film, il a fallu que je fasse des choix parce que je voulais que ce soit du documentaire, du cinéma et pas un reportage. Je ne voulais pas faire un Zone Interdite sur les kiosques à journaux ! Je voulais être didactique sans être informative. Mon personnage dans le film ressemble plus à un professeur Tournesol qui à l’aide de tutoriels — comme ceux qu’on trouve sur YouTube où l’on apprend à faire un joint de salle de bain — tente de transmettre au spectateur les enjeux vulgarisés du métier.
Question du public : Je voulais revenir sur l’image des empreintes de doigts dans le tiroir-caisse du kiosque. Ces empreintes disent quelque chose de l’usure de ce lieu et puis surtout des générations qui s’y sont succédées. Il y a quelque chose d’extrêmement fort de ce point de vue, c’est très beau. On dirait que ce kiosque fonctionne comme l’Aleph de Borges, un petit trou sous l’escalier à travers lequel on peut voir le monde, un endroit minuscule mais dans lequel le monde se déploie, qu’il soit économique ou politique. Et puis, il y a la place de l’Histoire, une petite histoire dans une grande histoire. Tout cela est vraiment très juste. Je crois que ne pas venir d’une école de cinéma vous aide à renforcer cette dimension. Si vous n’étiez pas plasticienne au départ, vous n’auriez peut-être jamais fait ce film. J’ai trouvé les dessins vraiment très beaux, votre trait apporte beaucoup. Grâce à eux, le film fonctionne aussi comme une galerie de portraits, non seulement par la présence du dessin à l’image mais cela modifie aussi la perception des visages filmés. Vous venez de dire que vous avez dû faire une sélection importante des personnages et je voulais savoir ce qui a présidé dans vos choix. Quels sont les personnages que vous avez gardés ? Ou plus précisément, pourquoi avez-vous gardé ces personnes-là dans cette espèce de casting à l’envers ? Est-ce qu’il y avait un choix, qui était par exemple de dire que vous souhaitiez quelque chose de varié ou, considérez-vous qu’ils partagent tous un trait en commun qui vous touche ? Car en effet, ils sont très variés mais ils pourraient aussi appartenir à une même famille. Donc comment faire lorsque l’on croise probablement tant de personnes si attachantes ? Je pense qu’il y a un choix d’écriture important à expliciter.
Alexandra Pianelli : Il y a plusieurs raisons qui motivent ces choix. Je ne sais pas si c’est la première raison, mais la question du droit à l’image se pose et les gens que j’ai gardés dans le film sont ceux, nécessairement, qui ont accepté d’y apparaitre. Les vols de presse et altercations en tout genre ne sont pas manifestes à l’écran pour cette raison. Il m’a fallu les évoquer autrement. Les personnages du film sont des clients qui venaient tous les jours, à la même heure, pendant six ans. Cela fait que nous faisions presque partie d’une petite famille ou au moins d’une communauté. Il est vrai qu’ils se ressemblent assez. Malgré les apparences ce ne sont pas les clients les plus « riches » du quartier. J’ai aimé chez eux leur côté « titi parisien », leur gouaille ou leur folie. Les clients aisés sont souvent plus distants, plus dans la représentation, j’ai sans doute moins osé les filmer.
Ensuite, se posent des questions de montage et d’équilibre du récit. Je voulais simultanément dresser un portrait du métier et un portrait des lecteurs de presse sans qui le kiosque n’existerait pas. Chaque personne doit avoir un certain temps de parole dans le film. Il faut arriver, à donner aux spectateurs le temps de s’attacher aux personnes qui apparaissent, tout en leur permettant de comprendre un peu les clés de la crise de la presse que le film aborde. Pour arriver à traiter certains sujets plus ou moins politiques et permettre au spectateur de respirer, nous avons utilisé « la règle de trois » : trois apparitions d’un même client, trois séquences de maquettes et trois séquences de dessins, grosso modo. Il fallait être précises. Beaucoup de scènes que je trouvais très intéressantes ne trouvaient pas leur place dans le film parce qu’elles l’auraient dévié vers autre chose. Si nous les avions gardées, on se serait retrouvées avec plusieurs films dans le film et c’était l’écueil que je voulais éviter. Donc, avec Léa, on s’est dit que chaque séquence qui existait ou chaque voix devait pouvoir se développer dans la suite du film. Rien n’a été laissé au hasard. Nous avons gardé uniquement des séquences qui se développent suffisamment, un peu à l’image de la série que je voulais faire au départ. Que ce soit l’histoire d’amour avec l’inventeur d’Internet ou celle de Marcel, l’amoureux romantique qui devient amer après s’être fait quitter. Enfin pour des questions techniques (séquences, images ou sons inexploitables), certains de mes clients préférés n’existent pas dans le film. Il y a une séquence qui pour moi était LA séquence clé du tournage mais qui n’a jamais pu être intégrée au film parce que je n’ai jamais retrouvé le son de ces images tournées en GoPro. Le son étouffé par le boitier de la caméra n’était pas assez audible pour le cinéma. Ce n’est qu’au montage son – quand le montage image était bouclé – que je l’ai retrouvé !
Question du public : J’ai été très frappé à la fin du film par l’image du kiosque qui s’en va et j’ai trouvé que, tout d’un coup, votre maquette en carton prenait tout son sens. Je voulais savoir si vous aviez pensé cette maquette, cette plasticité, ce volume, a posteriori ? Vous avez expliqué que vous avez intégré la pratique du dessin en parallèle mais cette question de la maquette est importante… parce que mettre du volume et ne pas être que dans des aplats, c’est aussi ce à quoi renvoie a priori la question du film. Est-ce venu justement après le tournage ?
Alexandra Pianelli : J’étais revenue filmer les images du kiosque au moment où il a été démonté quelques années plus tard. Ce sont les seules images HD filmées avec une caméra 4K haute résolution. Elles étaient trop belles par rapport aux autres ! Pour cette scène, j’ai cassé le dispositif. Pour la première fois, on sort du kiosque. J’ai donc choisi de les monter en stop motion pour ne pas faire de fausse fin et pour marquer une fracture. Souvent, le public fait ce rapprochement avec les maquettes. Cela me plait beaucoup. Mais je dois avouer que certains choix ont été inconscients. Ces maquettes, je les ai construites en 2019, c’est-à-dire un an environ après le démontage du kiosque. J’ai dû faire le lien sans le comprendre tout de suite. C’est l’enchantement du montage. On est pressés par le temps, on se pousse dans nos retranchements et parfois la magie opère.
Question du public : En fait, ce qui m’avait frappé dans les maquettes avant de voir la fin, c’était de percevoir cette fragilité et, comme beaucoup de personnes, ma géographie parisienne est très liée aux kiosques. Pour moi, ce sont des points de repère. Ils m’aident à lire la ville par leur fixité et cela m’a troublé de voir cette fragilité sur les maquettes au cours du film et, tout d’un coup, celle du kiosque à la fin. Évidemment, cette fragilité qu’on perçoit tout au long du film s’acte terriblement. C’est une très belle manière de clore le récit.
Alexandra Pianelli : Le kiosque, dans ses murs, est devenu lui-même fragile au fil du temps. Quand ils ont arraché le kiosque, outre la douleur de voir ces années de vie s’envoler, nous avons été étonnées ma mère et moi parce qu’on pensait que le kiosque était encore en bronze ou en fonte ! Quand ils ont dévissé puis enlevé le dôme qui était juste posé, on a compris que c’était du toc, du plastique ! Nous étions les premières à être surprises par ce démembrement.
Question du public : Je voudrais poser une question un peu anecdotique concernant le kiosque. Je connais plusieurs kiosques qui ont fermé à Marseille, ils sont là depuis plusieurs années, toujours sur place et ils n’ont jamais retrouvé repreneur. Je me demande donc ce qui fait qu’on démonte un kiosque. Est-ce parce qu’il n’a pas retrouvé de repreneur ou parce qu’il était la propriété de quelqu’un ? C’est une question très anecdotique, mais c’est pour mieux comprendre. Et j’ai une deuxième question concernant votre travail. Vous avez fini le montage de ce film il y a environ deux ans, si j’ai bien compris, même si le tournage avait duré six ans. Vous avez mis au point une forme esthétique et une méthode de travail qui permettent de circuler entre l’aspect autobiographique et l’aspect plus fictionnel que le film adopte par moments. Mais cela aboutit à une méthode qui vous est propre. Je m’interroge donc sur l’incidence que cela peut avoir dans votre propre travail plastique, parce que le récit que vous partagez est lié à votre histoire personnelle. Je me permets cette question parce que je suis moi-même plasticien et que je connais l’importance de la biographie ou de l’autobiographie dans la fabrique des projets.
Alexandra Pianelli : Tout d’abord, la question du démontage d’un kiosque n’est pas si anecdotique. Dans mon film, le démontage du kiosque, c’est aussi la manipulation du montage cinématographique. Le kiosque n’a pas été arraché parce qu’on partait. On n’arrache pas un kiosque dès qu’un gérant n’y arrive plus. Ce kiosque a été démonté parce que la ville de Paris a décidé de re-moderniser les kiosques pour amener une clientèle plus jeune et pour essayer, peut-être, de sauver la presse papier. C’était la politique de la ville à ce moment-là. Quand j’ai appris cela, je me suis dit que ça serait une très belle métaphore de notre départ. Je sais que quand j’avoue cela, souvent, les gens sont déçus. Mais, personnellement, c’est quelque chose que j’assume car ce sont justement les ficelles de fabrication. J’ai toujours un grand plaisir à mêler le documentaire ou le réel à une écriture qui fictionnalise. Et puis, par ailleurs, cette écriture qui est d’abord autobiographique, puis qui s’ouvre à l’autre, est quelque chose qui m’intéresse depuis un moment. Quand j’étais étudiante, je me demandais comment filmer l’autre, si ce n’est en s’impliquant dans la relation et donc en créant une forme de discussion. Je me disais que l’art, c’est peut-être l’art de converser. Je crois que je cherche toujours autour de ces questions-là. Il s’agit pour moi de trouver la bonne justesse. Partir de ma subjectivité, de mon expérience me permet de me sentir plus légitime. Je ne dis pas la vérité, je dis ma vérité. Partir de mon expérience personnelle, intime et ouvrir assez vite la problématique à d’autres personnes complètement étrangères à cette histoire permet au spectateur (qui se moque de ma petite histoire) de trouver sa place dans le film. J’essaie donc toujours de trouver cette limite, cette frontière, donner juste envie de découvrir. C’était un pari de proposer un film sur un kiosque. Je me disais que, marchand de journaux ce n’est pas un métier qui intéresse les gens, sauf pour quelques lecteurs de presse assidus. La majorité des gens se moquent un peu de ces vieux métiers sauf ceux qui y sont attachés pour se repérer, comme vous le disiez, ou par intérêt pour la presse ou l’actualité. C’était un défi en soi de réaliser un film sur ce sujet. Donc je suis très heureuse et mes parents sont ravis de voir que les gens s’intéressent à leur métier aujourd’hui.
Remarque du public : Je voulais juste dire que j’avais déjà vu ce film. Il me semble que c’était lors du festival Premier Plan en 2021. En raison de la pandémie, le film avait été diffusé en ligne. Je l’avais donc vu seule sur mon ordinateur et, aujourd’hui, j’ai été très contente de le redécouvrir sur grand écran. Vous partagiez votre inquiétude de savoir ce que feraient ces images sur grand écran mais par rapport à la thématique du colloque, nous voyons bien qu’elles transitent beaucoup mieux par la projection et l’attention de la salle que sur un écran individuel.
Caroline Renard : Avez-vous d’autres projets en ce moment ?
Alexandra Pianelli : J’ai d’autres projets depuis quelques temps mais Le Kiosque m’a occupée pendant des années, ce projet était vraiment très long. Cela a représenté dix ans de travail et de vie, si bien que j’aimerais bien tourner un film en 24 heures ! Je me disais : « Il va falloir que je me relance un peu ! ». Et j’ai longuement hésité. Je pense à apprendre un autre métier pour en faire un film. Il y aussi un autre projet que je développe avec mon amie Zoé qui vient me filmer dans Le Kiosque. C’est un projet assez compliqué et je ne sais pas si on arrivera à le mener à terme. Nous voulions filmer les étudiants de l’École supérieure des Arts Décoratifs de Strasbourg, l’école où nous avons été formées. Nous nous sommes rendues compte que leur rapport à l’argent n’est pas du tout le même que celui que nous avions à leur âge. Cela m’intéressait donc de filmer la jeune génération après avoir filmé des vieux lecteurs. Ces étudiants sont plus attachés que nous aux écrans. Cela soulève la question du besoin de faire image pour exister. Certains envisagent sans difficulté de vendre leur corps ou leur image soit dans un travail de performance, soit dans un projet qui relève directement de la survie car ils sont touchés par la précarité. Nous sommes en train de mettre en place des workshops un peu pirates à l’École des Arts Décoratifs avec un enseignant complice pour rencontrer ces étudiants et voir si nous arrivons à dialoguer et peut-être à les filmer. Ce sont vraiment les prémisses de ce projet. Nous voulons faire attention à ne pas tomber dans quelque chose de journalistique et nous voudrions aussi arriver à voir ce qui peut faire du lien entre les générations. C’est donc assez complexe et ambitieux car je voudrais aussi que le film ne soit pas sans humour.